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contre Matchimanitou, dieu du mal. Il dit le premier homme et Atahensic la première femme précipités du ciel pour avoir perdu l’innocence, la terre rougie du sang fraternel, Jouskeka l’impie immolant le juste Tahouistsaron, le déluge descendant à la voix du grand Esprit, Massou sauvé seul dans son canot d’écorce, et le corbeau envoyé à la découverte de la terre ; il dit encore la belle Endaé, retirée de la contrée des âmes par les douces chansons de son époux.

« Après ces jeux et ces cantiques, on se prépare à donner aux aïeux une éternelle sépulture.

« Sur les bords de la rivière Chata-Uche se voyait un figuier sauvage, que le culte des peuples avait consacré. Les vierges avaient accoutumé de laver leurs robes d’écorce dans ce lieu et de les exposer au souffle du désert, sur les rameaux de l’arbre antique. C’était là qu’on avait creusé un immense tombeau. On part de la salle funèbre en chantant l’hymne à la mort ; chaque famille porte quelques débris sacrés. On arrive à la tombe, on y descend les reliques ; on les y étend par couche, on les sépare avec des peaux d’ours et de castors ; le mont du tombeau s’élève, et l’on y plante l’Arbre des pleurs et du sommeil.

« Plaignons les hommes, mon cher fils ! Ces mêmes Indiens dont les coutumes sont si touchantes, ces mêmes femmes qui m’avaient témoigné un intérêt si tendre, demandaient maintenant mon supplice à grands cris, et des nations entières retardaient leur départ pour avoir le plaisir de voir un jeune homme souffrir des tourments épouvantables.

« Dans une vallée au nord, à quelque distance du grand village, s’élevait un bois de cyprès et de sapins, appelé le Bois du sang. On y arrivait par les ruines d’un de ces monuments dont on ignore l’origine, et qui sont l’ouvrage d’un peuple maintenant inconnu. Au centre de ce bois s’étendait une arène où l’on sacrifiait les prisonniers de guerre. On m’y conduit en triomphe. Tout se prépare pour ma mort : on plante le poteau d’Areskoui ; les pins, les ormes, les cyprès tombent sous la cognée ; le bûcher s’élève ; les spectateurs bâtissent des amphithéâtres avec des branches et des troncs d’arbres. Chacun invente un supplice : l’un se propose de m’arracher la peau du crâne, l’autre de me brûler les yeux avec des haches ardentes. Je commence ma chanson de mort :

« Je ne crains point les tourments : je suis brave, ô Muscogulges ! je vous défie ; je vous méprise plus que des femmes. Mon père Outalissi, fils de Miscou, a bu dans le crâne de vos plus fameux guerriers ; vous n’arracherez pas un soupir de mon cœur. »