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la nature ? Rien qu’un miracle, sans doute ; et ce miracle fut fait ! La fille de Simaghan eut recours au Dieu des chrétiens ; elle se précipita sur la terre, et prononça une fervente oraison, adressée à sa mère et à la Reine des vierges. C’est de ce moment, ô René ! que j’ai conçu une merveilleuse idée de cette religion qui dans les forêts, au milieu de toutes les privations de la vie, peut remplir de mille dons les infortunés ; de cette religion qui, opposant sa puissance au torrent des passions, suffit seule pour les vaincre, lorsque tout les favorise, et le secret des bois, et l’absence des hommes, et la fidélité des ombres. Ah ! qu’elle me parut divine, la simple sauvage, l’ignorante Atala, qui à genoux devant un vieux pin tombé, comme au pied d’un autel, offrait à son Dieu des vœux pour un amant idolâtre ! Ses yeux levés vers l’astre de la nuit, ses joues brillantes des pleurs de la religion et de l’amour, étaient d’une beauté immortelle. Plusieurs fois il me sembla qu’elle allait prendre son vol vers les cieux ; plusieurs fois je crus voir descendre sur les rayons de la lune et entendre dans les branches des arbres ces Génies que le Dieu des chrétiens envoie aux ermites des rochers, lorsqu’il se dispose à les rappeler à lui. J’en fus affligé, car je craignis qu’Atala n’eût que peu de temps à passer sur la terre.

« Cependant elle versa tant de larmes, elle se montra si malheureuse, que j’allais peut-être consentir à m’éloigner, lorsque le cri de mort retentit dans la forêt. Quatre hommes armés se précipitent sur moi : nous avions été découverts ; le chef de guerre avait donné l’ordre de nous poursuivre.

« Atala, qui ressemblait à une reine pour l’orgueil de la démarche, dédaigna de parler à ces guerriers. Elle leur lança un regard superbe, et se rendit auprès de Simaghan.

« Elle ne put rien obtenir. On redoubla mes gardes, on multiplia mes chaînes, on écarta mon amante. Cinq nuits s’écoulent, et nous apercevons Apalachucla, situé au bord de la rivière Chata-Uche. Aussitôt on me couronne de fleurs ; on me peint le visage d’azur et de vermillon ; on m’attache des perles au nez et aux oreilles et l’on me met à la main un chichikoué[1].

« Ainsi paré pour le sacrifice, j’entre dans Apalachucla aux cris répétés de la foule. C’en était fait de ma vie, quand tout à coup le bruit d’une conque se fait entendre, et le Mico, ou chef de la nation, ordonne de s’assembler.

« Tu connais, mon fils, les tourments que les sauvages font subir aux prisonniers de guerre. Les missionnaires chrétiens, au péril de

  1. Instrument de musique des sauvages.