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sujet de Phèdre s’il n’eût été traité par Racine. Il ne restoit que celui d’Érope et de Thyeste[1] chez les Grecs, ou d’Amnon et de Thamar chez les Hébreux[2] ; et, bien qu’il ait été aussi transporté sur notre scène[3], il est toutefois moins connu que celui de Phèdre. Peut-être aussi s’applique-t-il mieux aux caractères que l’auteur a voulu peindre. En effet, les folles rêveries de René commencent le mal et ses extravagances l’achèvent : par les premières il égare l’imagination d’une foible femme ; par les dernières, en voulant attenter à ses jours, il oblige cette infortunée à se réunir à lui : ainsi le malheur naît du sujet, et la punition sort de la faute.

« Il ne restoit qu’à sanctifier par le christianisme cette catastrophe empruntée à la fois de l’antiquité païenne et de l’antiquité sacrée. L’auteur, môme alors, n’eut pas tout à faire, car il trouva cette histoire presque naturalisée chrétienne dans une vieille ballade de pèlerin que les paysans chantent encore dans plusieurs provinces[4]. Ce n’est pas par les maximes répandues dans un ouvrage, mais par l’impression que cet ouvrage laisse au fond de l’âme, que l’on doit juger de sa moralité. Or, la sorte d’épouvante et de mystère qui règne dans l’épisode de René serre et contriste le cœur sans y exciter d’émotion criminelle. Il ne faut pas perdre de vue qu’Amélie meurt heureuse et guérie et que René finit misérablement. Ainsi le vrai coupable est puni, tandis que sa trop foible victime, remettant son âme blessée entre les mains de celui qui retourne le malade sur sa couche, sent renaître une joie ineffable du fond même des tristesses de son cœur. Au reste, le discours du père Souël ne laisse aucun doute sur le but et les moralités religieuses de l’histoire de René. »

On voit, par le chapitre cité du Génie du Christianisme, quelle espèce de passion nouvelle j’ai essayé de peindre, et, par l’extrait de la Défense, quel vice non encore attaqué j’ai voulu combattre. J’ajouterai que, quant au style, René a été revu avec autant de soin qu’Atala, et qu’il a reçu le degré de perfection que je suis capable de lui donner.

  1. Sen. in Atr. et Th. Voyez aussi Canacé et Macareus, et Caune et Byblis dans les Métamorphoses et dans les Héroïdes d’Ovide. J’ai rejeté comme trop abominable le sujet de Myrra, qu’on retrouve encore dans celui de Lot et de ses filles.
  2. Reg., 13.
  3. Dans l’Abufar de M. Ducis.
  4. C’est le chevalier des Landes :

    Malheureux chevalier, etc.