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probable que tel lecteur n’eût jamais ouvert le Génie du Christianisme s’il n’y avoit cherché René et Atala ?

Sa che la corre il mondo, ove più versi
Delle sue dolcezze il lusinghier Parnaso,
E che ’l verso, condito in molli versi,
I più schivi allettando, ha persuaso.

« Tout ce qu’un critique impartial qui veut entrer dans l’esprit de l’ouvrage étoit en droit d’exiger de l’auteur, c’est que les épisodes de cet ouvrage eussent une tendance visible à faire aimer la religion et à en démontrer l’utilité. Or, la nécessité des cloîtres pour certains malheurs de la vie, et pour ceux-là même qui sont les plus grands, la puissance d’une religion qui peut seule fermer des plaies que tous les baumes de la terre ne sauroient guérir, ne sont-elles pas invinciblement prouvées dans l’histoire de René ? L’auteur y combat en outre le travers particulier des jeunes gens du siècle, le travers qui mène directement au suicide. C’est J.-J. Rousseau qui introduisit le premier parmi nous ces rêveries si désastreuses et si coupables. En s’isolant des hommes, en s’abandonnant à ses songes, il a fait croire à une foule de jeunes gens qu’il est beau de se jeter ainsi dans le vague de la vie. Le roman de Werther a développé depuis ce germe de poison. L’auteur du Génie du Christianisme, obligé de faire entrer dans le cadre de son Apologie quelques tableaux pour l’imagination, a voulu dénoncer cette espèce de vice nouveau, et peindre les funestes conséquences de l’amour outré de la solitude. Les couvents offroient autrefois des retraites à ces âmes contemplatives que la nature appelle impérieusement aux méditations. Elles y trouvoient auprès de Dieu de quoi remplir le vide qu’elles sentent en elles-mêmes et souvent l’occasion d’exercer de rares et sublimes vertus. Mais depuis la destruction des monastères et les progrès de l’incrédulité on doit s’attendre à voir se multiplier au milieu de la société (comme il est arrivé en Angleterre) des espèces de solitaires tout à la fois passionnés et philosophes, qui, ne pouvant ni renoncer aux vices du siècle ni aimer ce siècle, prendront la haine des hommes pour l’élévation du génie, renonceront à tout devoir divin et humain, se nourriront à l’écart des plus vaines chimères et se plongeront de plus en plus dans une misanthropie orgueilleuse qui les conduira à la folie ou à la mort.

« Afin d’inspirer plus d’éloignement pour ces rêveries criminelles, l’auteur a pensé qu’il devoit prendre la punition de René dans le cercle de ces malheurs épouvantables qui appartiennent moins à l’individu qu’à la famille de l’homme, et que les anciens attribuoient à la fatalité. L’auteur eût choisi le