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encore sur tous les autres sentiments. Elles ont dans leur existence un certain abandon qu’elles font passer dans la nôtre ; elles rendent notre caractère d’homme moins décidé, et nos passions, amollies par le mélange des leurs, prennent à la fois quelque chose d’incertain et de tendre…

« Il suffiroit de joindre quelques infortunes à cet état indéterminé des passions pour qu’il pût servir de fond à un drame admirable. Il est étonnant que les écrivains modernes n’aient pas encore songé à peindre cette singulière position de l’âme. Puisque nous manquons d’exemples, nous seroit-il permis de donner aux lecteurs un épisode extrait, comme Atala, de nos anciens Natchez ? C’est la vie de ce jeune René, à qui Chactas a raconté son histoire, etc., etc. »

EXTRAIT
DE LA DÉFENSE DU GÉNIE DU CHRISTIANISME.

« On a déjà fait remarquer la tendre sollicitude des critiques[1] pour la pureté de la religion : on devoit donc s’attendre qu’ils se formaliseroient des deux épisodes que l’auteur a introduits dans son livre. Cette objection particulière rentre dans la grande objection qu’ils ont opposée à tout l’ouvrage, et elle se détruit par la réponse générale qu’on y a faite plus haut. Encore une fois, l’auteur a dû combattre des poëmes et des romans impies avec des poëmes et des romans pieux ; il s’est couvert des mêmes armes dont il voyoit l’ennemi revêtu : c’étoit une conséquence naturelle et nécessaire du genre d’apologie qu’il avoit choisi. Il a cherché à donner l’exemple avec le précepte. Dans la partie théorique de son ouvrage, il avoit dit que la religion embellit notre existence, corrige les passions sans les éteindre, jette un intérêt singulier sur tous les sujets où elle est employée ; il avoit dit que sa doctrine et son culte se mêlent merveilleusement aux émotions du cœur et aux scènes de la nature ; qu’elle est enfin la seule ressource dans les grands malheurs de la vie : il ne suffisoit pas d’avancer tout cela, il falloit encore le prouver. C’est ce que l’auteur a essayé de faire dans les deux épisodes de son livre. Ces épisodes étoient en outre une amorce préparée à l’espèce de lecteurs pour qui l’ouvrage est spécialement écrit. L’auteur avoit-il donc si mal connu le cœur humain, lorsqu’il a tendu ce piège innocent aux incrédules ? Et n’est-il pas

  1. Il s’agit ici des Philosophes uniquement.