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éditions du Génie du Christianisme se multiplient, malgré les circonstances qui ont ôté à la cause que j’ai défendue le puissant intérêt du malheur. L’ouvrage, si je ne m’abuse, paroît môme augmenter d’estime dans l’opinion publique à mesure qu’il vieillit, et il semble que l’on commence à y voir autre chose qu’un ouvrage de pure imagination. Mais à Dieu ne plaise que je prétende persuader de mon foible mérite ceux qui ont sans doute de bonnes raisons pour ne pas y croire ! Hors la religion et l’honneur, j’estime trop peu de choses dans le monde pour ne pas souscrire aux arrêts de la critique la plus rigoureuse. Je suis si peu aveuglé par quelques succès et si loin de regarder quelques éloges comme un jugement définitif en ma faveur, que je n’ai pas cru devoir mettre la dernière main à mon ouvrage. J’attendrai encore afin de laisser le temps aux préjugés de se calmer, à l’esprit de parti de s’éteindre : alors l’opinion qui se sera formée sur mon livre sera sans doute la véritable opinion : je saurai ce qu’il faudra changer au Génie du Christianisme pour le rendre tel que je désire le laisser après moi, s’il me survit[1].

Mais si j’ai résisté à la censure dirigée contre l’ouvrage entier par les raisons que je viens de déduire, j’ai suivi pour Atala, prise séparément, un système absolument opposé. Je n’ai pu être arrêté dans les corrections ni par la considération du prix du livre ni par celle de la longueur de l’ouvrage. Quelques années ont été plus que suffisantes pour me faire connaître les endroits foibles ou vicieux de cet épisode. Docile sur ce point à la critique, jusqu’à me faire reprocher mon trop de facilité, j’ai prouvé à ceux qui m’attaquoient que je ne suis jamais volontairement dans l’erreur, et que dans tous les temps et sur tous les sujets je suis prêt à céder à des lumières supérieures aux miennes. Atala a été réimprimée onze fois : cinq fois séparément et six fois dans le Génie du Christianisme ; si l’on confrontoit ces onze éditions, à peine en trouveroit-on deux tout à fait semblables.

La douzième, que je publie aujourd’hui, a été revue avec le plus grand soin. J’ai consulté des amis prompts à me censurer ; j’ai pesé chaque phrase, examiné chaque mot. Le style, dégagé des épithèles qui l’embarrassoient, marche peut-être avec plus de naturel et de simplicité. J’ai mis plus d’ordre et de suite dans quelques idées ; j’ai fait disparoître jusqu’aux moindres incorrections de langage. M. de La Harpe me disoit au sujet d’Atala : « Si vous voulez vous enfermer avec moi seulement quelques heures, ce temps nous suffira pour effacer les taches qui font crier si haut vos censeurs. » J’ai passé quatre ans à revoir

  1. C’est ce qui a été fait dans l’édition des Œuvres complètes de l’auteur ; Paris, 1828.