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PRÉFACE
D’ATALA ET DE RENÉ (édition in-12 de 1805).

L’indulgence avec laquelle on a bien voulu accueillir mes ouvrages m’a imposé la loi d’obéir au goût du public et de céder au conseil de la critique.

Quant au premier, j’ai mis tous mes soins à le satisfaire. Des personnes chargées de l’instruction de la jeunesse ont désiré avoir une édition du Génie du Christianisme qui fût dépouillée de cette partie de l’Apologie, uniquement destinée aux gens du monde : malgré la répugnance naturelle que j’avois à mutiler mon ouvrage, et ne considérant que l’utilité publique, j’ai publié l’abrégé que l’on attendoit de moi.

Une autre classe de lecteurs demandoit une édition séparée des deux épisodes de l’ouvrage : je donne aujourd’hui cette édition.

Je dirai maintenant ce que j’ai fait relativement à la critique.

Je me suis arrêté, pour le Génie du Christianisme, à des idées différentes de celles que j’ai adoptées pour ses épisodes.

Il m’a semblé d’abord que, par égard pour les personnes qui ont acheté les premières éditions, je ne devois faire, du moins à présent, aucun changement notable à un livre qui se vend aussi cher que le Génie du Christianisme. L’amour-propre et l’intérêt ne m’ont pas paru des raisons assez bonnes, même dans ce siècle, pour manquer à la délicatesse.

En second lieu, il ne s’est pas écoulé assez de temps depuis la publication du Génie du Christianisme pour que je sois parfaitement éclairé sur les défauts d’un ouvrage de cette étendue. Où trouverois-je la vérité parmi une foule d’opinions contradictoires ? L’un vante mon sujet aux dépens de mon style ; l’autre approuve mon style et désapprouve mon sujet. Si l’on m’assure, d’une part, que le Génie du Christianisme est un monument à jamais mémorable pour la main qui l’éleva et pour le commencement du xixe siècle[1], de l’autre, on a pris soin de m’avertir, un mois ou deux après la publication de l’ouvrage, que les critiques venoient trop tard, puisque cet ouvrage étoit déjà oublié[2].

Je sais qu’un amour-propre plus affermi que le mien trouveroit peut-être quelque motif d’espérance pour se rassurer contre cette dernière assertion. Les

  1. M. de Fontanes.
  2. M. Ginguené. (Décad. philosoph.)