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SUR
L’ART DU DESSIN
DANS LES PAYSAGES


LETTRE À MONSIEUR ***
Londres, 1795.

Voilà le petit paysage que vous m’avez demandé. Je vous l’ai fait attendre ; mais vous savez quels tristes soins m’appellent à d’autres études, qui pourtant ne seront pas longues, s’il faut en croire les médecins[1] : je suis prêt quand et comment il plaira à Dieu. Ces mêmes études m’ont fait abandonner cette grande vue du Canada qui me plaisait par le souvenir de mes voyages. Quelle différence de ce temps-là à celui-ci ! Lorsque mes pensées se reportent vers le passé, je sens si vivement le poids de mes peines, que je ne sais ce que je deviens. Pardonnez à cet épanchement de mon cœur. Il y a tant de charme à parler de ses souffrances quand ceux qui vous écoutent peuvent vous comprendre ! Peu de gens me comprennent ici.

Le petit dessin que je vous envoie m’a fait faire quelques réflexions sur l’art du paysage : elles vous seront peut-être utiles. D’ailleurs nous sommes en hiver ; vous avez du feu : grande ressource contre les barbouilleurs de papier.

Élevé dans les bois, les défauts de l’art et la sécheresse des paysages m’ont frappé presque dès mon enfance, sans que je pusse dire ce qui constituait ces défauts. Lorsque je dessinais moi-même, je sentais que je faisais mal en copiant des modèles ; j’étais plus content de moi lorsque je suivais mes propres idées. Insensiblement cela m’engagea

  1. Voyez la Préface de l’Essai historique.