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mes combats ? Ton épée n’éclairera-t-elle plus les sombres replis de la bataille ? Ta lance ne renversera-t-elle plus les rangs entiers de mes ennemis ? Ton noir vaisseau surmontait hardiment la tempête, tandis que tes joyeux rameurs répétaient leurs chansons entre les montagnes humides. Les enfants de Morven m’arrachaient à mes pensées en criant : Voyez le vaisseau de Gaul. La harpe des vierges et la voix des bardes annonçaient ton arrivée ; tes bannières flottaient sur la bruyère. Je reconnaissais le sifflement de ta flèche et le bruit de tes pas.

« Force des guerriers, qu’es-tu ? Aujourd’hui tu chasses les vaillants devant toi, comme des nuages de poussière ; la mort marque ton passage, comme la feuille séchée indique la course des fantômes : demain le court songe de la valeur est dissipé ; la terreur des armées s’est évanouie ; l’insecte ailé bourdonne sa victoire sur le corps du héros.

« Fils du faible, pourquoi désirais-tu la force du chef de Strumon, quand tu le voyais resplendissant sous ses armes ? Ne savais-tu pas que la force du guerrier s’évanouit ? Quand le chasseur regagne sa demeure, il contemple un nuage brillant que traversent les couleurs de l’arc-en-ciel ; mais les moments fuient sur leurs ailes d’aigle , le soleil ferme ses yeux de lumière, un tourbillon brouille les nues : une noire vapeur est tout ce qui reste de l’arc étincelant. Gaul ! les ténèbres ont succédé à ta clarté, mais ta mémoire vivra ; il ne soufflera pas un seul vent sur Morven qui ne parle de ta renommée.

« Bardes, élevez la tombe du père, de la mère et du fils. La pierre moussue apprendra à l’étranger le lieu de leur repos ; le chêne leur prêtera son ombre. Les brises visiteront cet arbre de la mort ; sous les fraîches ondées du printemps, il se couvrira de feuilles, longtemps avant que les autres arbres aient repris leur parure, longtemps avant que la bruyère se soit ranimée à ses pieds. Les oiseaux de passage s’arrêteront sur la cime du chêne solitaire : ils y chanteront la gloire de Gaul, tandis que les vierges des temps à venir rediront la beauté d’Évircoma, et que les mères pleureront Ogal.

« Mais, ô pierre ! quand tu seras réduite en poudre ; ô chêne ! quand les vers t’auront rongé ; ô torrent ! lorsque tu cesseras de couler, et que la source de la montagne ne fournira plus son onde à ta course ; lorsque vos chansons , ô bardes ! seront oubliées, lorsque votre mémoire et celle des héros par vous célébrés auront disparu dans le gouffre des âges, alors, et seulement alors, la gloire de Gaul périra, l’étranger pourra demander quel était le fils de Morni, quel était le chef de Strumon. »

fin de gaul