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dans ses joues étaient remplies des larmes qui descendaient de ses yeux ; il regarda la mer, et avec un profond soupir : « Est-ce là, murmura-t-il faiblement, le temps du sommeil pour l’ami de Gaul ? » Une bouffée de vent agite les arbres ; le coq de bruyère se réveille sous la racine du buisson, relève précipitamment la tête qu’il tenait cachée sous son aile, et pousse un cri plaintif. Ce cri m’arrache à mes songes, j’ouvre les yeux ; je vois Morni emporté par le tourbillon. Je suis la route qu’il me trace ; je fends la mer avec mon vaisseau, je rencontre la nacelle d’Évircoma ; elle était arrêtée au rivage d’une île déserte : sur l’un des bords de la nacelle la tête de Gaul était inclinée. Je déliai le casque du héros ; ses blonds cheveux, trempés de la sueur des combats, flottèrent sur son front pâli. Aux accents de ma douleur, il essaya de soulever ses paupières ; mais ses paupières étaient trop pesantes ; la mort vint sur le visage de Gaul comme la nuit sur la face du soleil. Gaul ! tu ne reverras jamais le père de ton ami Oscar.

Près du fils de Morni repose la beauté expirante, Évircoma ; son enfant était dans ses bras, et l’innocente créature promenait en se jouant sa faible main sur le fer de la lance de Gaul. Les paroles d’Évircoma furent courtes : elle se pencha sur la tête d’Ogal, et son dernier regard perça mon cœur. « Adieu, pauvre orphelin ! Ogal, Ossian te servira de père. » Elle expire,

Ô mes amis ! qu’êtes-vous devenus ? Votre souvenir est plein de douceur, et pourtant il fait couler mes larmes.

J’aborde au pied des tours de Strumon : le silence régnait sur le rivage ; aucune fumée ne s’élevait en colonne d’azur du faîte du palais ; aucun chant ne se faisait entendre. Le vent sifflait à travers les portes ouvertes et jonchait le seuil de feuilles séchées ; l’aigle déjà perché sur le comble des tours semblait dire : « Ici je bâtirai mon aire. » Le faon de la biche se cache sous les boucliers sans maîtres ; le compagnon des chasses de Gaul, le rapide Codula, croit reconnaître les pas du fils de Morni : dans sa joie, il se lève d’un seul bond ; mais lorsqu’il a reconnu son erreur, il retourne se coucher sur la froide pierre, en poussant de longs hurlements.

Qui racontera la douleur des héros de Morven ? Ils vinrent silencieux de leurs ondoyantes vallées ; ils s’avancèrent lentement comme un sombre brouillard. Gaul, Évircoma et Ogal lui-même n’étaient plus. Fingal se place sous un pin ; les guerriers l’environnent. Penché sur le front de Gaul, les cheveux gris de Fingal nous dérobent ses larmes ; mais le vent les décèle, en les chassant de sa barbe argentée.

« Es-tu tombé, dit-il enfin, es-tu tombé, ô le premier de mes héros ? N’entendrai-je plus ta voix dans mes fêtes, le son de ton bouclier dans