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baleine qui, blessée et furieuse, se débat à la surface écumante des flots ; tu as vu une troupe de mouettes affamées nager autour de la terrible fille de l’Océan, dont elles n’osent encore approcher, bien qu’elle soit expirante : ainsi s’agitent et se serrent les guerriers épouvantés d’Ifrona, hors de la portée du bras du héros.

Mais la force du chef de Strumon commence à s’épuiser ; il s’appuie contre un arbre ; des ruisseaux de sang errent sur son bouclier ; cent flèches ont déchiré sa poitrine ; sa main tient sa redoutable épée, et les ennemis frémissent.

Enfants d’Ifrona, quelle roche essayez-vous de soulever ? est-ce pour marquer aux siècles à venir votre renommée ou votre honte ? La gloire des braves n’est pas à vous : vous êtes barbares, et vos cœurs sont inflexibles comme le fer. À peine sept guerriers peuvent détacher la roche du haut de la colline ; elle roule avec fracas, et vient heurter les pieds affaiblis de Gaul : il tombe sur ses genoux, mais au-dessus de son bouclier roulent encore ses yeux terribles. Les ennemis n’ont pas l’audace de se jeter sur lui ; ils le laissent languir dans la mort, comme un aigle resté seul sur un rocher quand la foudre a brisé ses ailes. Que ne savions-nous dans Selma ta destinée ! que nous auraient fait alors les chansons des vierges et le son de la harpe des bardes ! La lance de Fingal n’eût pas reposé si tranquillement contre les murs du palais ; nous n’eussions pas été surpris, dans cette nuit funeste, de voir le roi se lever à moitié du banquet, en disant : « J’ai cru que la lance d’une ombre avait touché mon bouclier ; ce n’est qu’une brise passagère. » Ô Morni ! que ne vins-tu réveiller Ossian, que ne vins-tu lui dire : « Hâte-toi de traverser la mer. » Malheureux père ! tu avais volé dans Ifrona pour pleurer sur ton fils.

Le matin sourit dans la vallée de Strumon ; Évircoma sort du trouble d’un songe ; elle entend le bruit de la chasse sur les coteaux de Morven. Surprise de ne point distinguer la voix de Gaul au milieu des cris des guerriers, elle prête, le cœur palpitant, une oreille encore plus attentive ; mais les rochers ne renvoient point le son d’une voix connue, les échos de Strumon ne répètent que les plaintes d’Évircoma.

Le soir attrista la vallée de Strumon : aucun vaisseau ne parut sur la mer. L’âme d’Évircoma était abattue : « Qui retient mon héros dans l’île d’Ifrona ? Quoi ! mon amour, n’es-tu point revenu avec les chefs de Morven ? Ton Évircoma sera-t-elle longtemps assise seule sur le rivage ? les larmes descendront-elles longtemps de ses yeux ? Gaul, as-tu oublié l’enfant de notre tendresse ? il demande le sourire accoutumé de son père : ses pleurs coulent avec les miens, ses soupirs répondent à mes soupirs. Si Gaul entendait son fils balbutier son nom,