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comme le pin, avec tous mes rameaux verdoyants autour de moi. Que n’étais-je auprès du chef de Strumon, quand l’orage d’Ifrona descendit !

Ombres de Morven, dormiez-vous dans vos grottes aériennes, ou vous amusiez-vous à faire voler les feuilles flétries, quand vous nous laissâtes ignorer le danger de Gaul ? Mais non, ombres amies de nos pères, vous prîtes soin de nous avertir : deux fois vous repoussâtes nos vaisseaux au rivage d’Ifrona, nous ne comprîmes pas ce présage ; nous crûmes que des esprits jaloux s’opposaient à notre retour. Fingal tira son épée, et sépara les pans de leur robe de vapeur ; à l’instant les ombres passèrent sur nos têtes. « Allez, impuissants fantômes, leur dit le chef ; allez chasser le duvet du chardon dans une terre lointaine, vous jouerez avec les fils du faible. »

Les ombres amies méconnues s’envolèrent avec le vent : leurs voix ressemblaient aux soupirs de la montagne quand l’oiseau de mer prédit la tempête. Quelques-uns de nos guerriers crurent entendre le nom de Gaul à demi formé dans le murmure des ombres…

 

(Le traducteur, ou plutôt l’auteur anglais, suppose qu’il y a ici une lacune dans le texte.)

« Je suis seul au milieu de mille guerriers : n’est-il point quelque épée pour briller avec la mienne ? Le vent souffle vers Morven en brisant le sommet des vagues. Gaul remontera-t-il sur son vaisseau ? ses amis ne sont point auprès de lui. Mais que dirait Fingal, mais que diraient les bardes, si un nuage enveloppait la réputation du fils de Morni ? Mon père, ne rougirais-tu pas si je me retirais sans combattre ?

En présence des héros de notre âge, tu cacherais ton visage 

avec tes cheveux blancs, et tu abandonnerais tes soupirs au vent solitaire de la vallée ; les ombres des faibles te verraient et diraient : « Voilà le père de celui qui a fui dans Ifrona. »

« Non, ton fils ne fuira point, ô Morni ! son âme est un rayon de feu qui dévore. Ô mon Évircoma ! ô mon Ogal !… Éloignons ces souvenirs : le calme rayon du jour ne se mêle point à la tempête ; il attend que les deux soient rassérénés. Gaul ne doit respirer que la bataille. Ossian, que n’es-tu avec moi comme dans le combat de Lathmor ! Je suis le torrent qui précipite ses ondes dans les mille vagues de l’Océan et qui, vainqueur, s’ouvre un passage à travers l’abîme. »

Gaul frappe sur son bouclier, alors non rongé par la rouille des âges. Ifrona tremble, ses nombreux guerriers entourent le héros de Strumon : la lance de Morni est dans la main de Gaul ; elle fait reculer les rangs ennemis.

Tu as vu, Malvina, la mer troublée par les bonds d’une immense