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La chouette voltige autour de mes cheveux blancs, je sens le vent de ses ailes ; elle éveille par ses cris la biche sur son lit de fougère, mais la biche est sans frayeur, elle a reconnu le vieil Ossian.

Biche des ruines de Selma, ta mort n’est point dans la pensée du barde ; tu te lèves de la même couche où dormirent Fingal et Oscar ! Non, ta mort n’est point le désir du barde ! J’étends seulement la main dans l’obscurité vers le lieu où était suspendu au dôme du palais le bouclier de mon père , vers ces voûtes que remplace aujourd’hui la voûte du ciel. La lance qui sert d’appui à mes pas rencontre à terre ce bouclier ; il retentit : ce bruit de l’airain plaît encore à mon oreille ; il réveille en moi la mémoire des anciens jours, ainsi que le souffle du soir ranime dans la ramée des bergers la flamme expirante. Je sens revivre mon génie, mon sein se soulève comme la vague battue de la tempête, mais le poids des ans le fait retomber.

Retirez-vous, pensées guerrières ! souvenirs des temps évanouis, retirez-vous ! Pourquoi nourrirais-je encore l’amour des combats, quand ma main a oublié l’épée ? La lance de Témora n’est plus qu’un bâton dans la main du vieillard.

Je frappe un autre bouclier dans la poussière. Touchons-le de mes doigts tremblants. Il ressemble au croissant de la lune : c’était ton bouclier, ô Gaul ! le bouclier du compagnon de mon Oscar ! Fils de Morni, tu as déjà reçu toute ta gloire, mais je te veux chanter encore ; je veux pour la dernière fois confier le nom de Gaul à la harpe de Selma. Malvina, où es-tu ? Oh ! qu’avec joie tu m’entendrais parler de l’ami de ton Oscar !

« La nuit était sombre et orageuse, les ombres criaient sur la bruyère, les torrents se précipitaient du rocher ; les tonnerres à travers les nuages roulaient comme des monts qui s’écroulent, et l’éclair traversait rapidement les airs. Cette nuit même nos héros s’assemblèrent dans les salles de Selma, dans ces salles maintenant abattues : le chêne flamboyait au milieu ; à sa lueur on voyait briller le visage riant des guerriers à demi cachés dans leur noire chevelure. La coquille des fêtes circulait à la ronde ; les bardes chantaient, et la main des vierges glissait sur les cordes de la harpe.

« La nuit s’envola sur les ailes de la joie : nous croyions les étoiles à peine au milieu de leur course, et déjà le rayon du matin entrouvrait l’orient nébuleux. Fingal frappa sur son bouclier : ah ! qu’il rendait alors un son différent de celui qu’il a parmi ces débris ! Les guerriers l’entendirent ; ils descendirent du bord de tous leurs ruisseaux. Gaul reconnut aussi la voix de la guerre, mais le Strumon roulait ses flots entre lui et nous : et qui pouvait traverser ses ondes terribles ?