Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

GAUL

POÈME

Le silence de la nuit est auguste. Le chasseur repose sur la bruyère ; à ses côtés sommeille son chien fidèle, la tête allongée sur ses pieds légers ; dans ses rêves, il poursuit les chevreuils ; dans la joie confuse de ses songes, il aboie et s’éveille à moitié.

Dors en paix, fils bondissant de la montagne, Ossian ne troublera point ton repos : il aime à errer seul ; l’obscurité de la nuit convient à la tristesse de son âme ; l’aurore ne peut apporter la lumière à ses yeux, depuis longtemps fermés. Retire tes rayons, ô soleil ! comme le roi de Morven a retiré les siens ; éteins ces millions de lampes que tu allumes dans les salles azurées de ton palais, lorsque tu reposes derrière les portes de l’occident. Ces lampes se consumeront d’elles-mêmes : elles te laisseront seul, ô soleil ! de même que les amis d’Ossian l’ont abandonné. Roi des cieux, pourquoi cette illumination magnifique sur les collines de Fingal, lorsque les héros ont disparu et qu’il n’est plus d’yeux pour contempler ces flambeaux éblouissants ?

Morven, le jour de ta gloire a passé ; comme la lueur du chêne embrasé de tes fêtes, l’éclat de tes guerriers s’est évanoui ; les palais ont croulé, Témora a perdu ses hauts murs, Tura n’est plus qu’un monceau de ruines, et Selma est muette. La coupe bruyante des festins est brisée. Le chant des bardes a cessé, le son des harpes ne se fait plus entendre. Un tertre couvert de ronces, quelques pierres cachées sous la mousse, c’est tout ce qui rappelle la demeure de Fingal. Le marin du milieu des flots n’aperçoit plus les tours qui semblaient marquer les bornes de l’Océan, et le voyageur qui vient du désert ne les aperçoit plus.

Je cherche les murailles de Selma ; mes pas heurtent leurs débris : l’herbe croît entre les pierres, et la brise frémit dans la tête du chardon.