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« Ton nom sera dans la chanson, m’écriai-je ; tu ne seras point oublié par Ossian. Sors de la caverne où t’a caché la destinée, et viens lever encore la lance dans la bataille. Viens, Fingal sera auprès de toi ; il te vengera. Viens, les oppresseurs de Duthona sécheront à ton aspect comme la fougère atteinte par la bise : ton nom refleurira comme le chêne qui ombrage les salles de tes fêtes, quand, après les rigueurs de l’hiver, il se rajeunit au printemps. »

Connar prit la voix d’Ossian pour celle d’une ombre : « Ta voix m’est agréable, enfant de la nuit, dit-il, car les fantômes n’effrayent point mon âme ; ta voix est douce à Connar abandonné. Converse avec moi dans la caverne ; notre entretien sera de la tombe et de la demeure aérienne des héros. Nous ne parlerons point de Duthona ; nous serons silencieux sur ma gloire, elle s’est évanouie. Mes amis aussi sont loin : ils dorment sur leurs boucliers ; mon souvenir ne trouble point leur repos. Ah ! qu’ils continuent de sommeiller en paix !

« Ombre amie , ma demeure sera bientôt avec la tienne. Nous visiterons ensemble les enfants du malheur dans leur caverne ; nous leur ferons oublier leurs chagrins dans les illusions des songes ; nous les conduirons en pensée dans les champs de leur renommée : ils croiront briller dans les combats ; leur tunique d’esclave s’allongera en robe ondoyante ; leurs prisons souterraines deviendront les nobles salles de Fingal ; le murmure du vent sera pour eux et pour nous la mélodie des harpes, le frissonnement des gazons deviendra le soupir des vierges. Ombre amie, en attendant que je m’unisse à toi dans les nuages, descends souvent à la caverne de Connar ! Fantôme de la nuit, ta voix est charmante à mon cœur ! »

Je me plonge dans la caverne de Connar ; je coupe les liens dont les guerriers de Dorla avoient entouré les mains du chef : je conduis le roi délivré à Fingal ; leurs visages brillèrent de joie au milieu de leurs cheveux gris, car Fingal et Connar se souviennent de leurs jeunes années, de ces premiers jours de la vie où ils tendaient ensemble leurs arcs au bord du torrent. « Connar, dit Fingal, qui a pu confiner l’ami de Morven dans la caverne ? Puissant devait être son bras, inévitable son épée ! »

« Dorla, répondit Connar, apprit que la force de mon bras s’était évanouie dans la vieillesse. Il attaqua mes salles pendant la nuit, lorsque j’étais seul avec ma fille Niala, et que mes guerriers étaient absents. Je combattis : le nombre prévalut. Dorla est resté dans Duthona, et mes peuples sont dispersés dans leurs vallons ignorés. »

Fingal entendit les paroles de Connar ; il fronce le sourcil ; les rides de son front sont comme les nuages qui couvent la tempête. Il agite dans sa main sa lance mortelle et regarde l’épée de Luno.