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des actions des premiers héros. Garrill redit les faits du temps passé, Ossian célébra la gloire de Connar : sa harpe ne put oublier la tendre beauté de Minla.

Les chants cessèrent, une brise murmura le long du ruisseau ; elle nous apporta les soupirs de l’infortune : ils étaient doux comme la voix des ombres au milieu d’un bois solitaire, quand elles passent sur la tombe des morts.

« Allez, Ossian, dit le roi ; quelque guerrier languit sur son bouclier ; qu’il soit apporté à Fingal : s’il est blessé, qu’on applique les herbes de la montagne sur sa plaie. Aucun nuage ne doit obscurcir notre joie dans la terre de Duthona. »

Je marchai guidé par la chanson du malheur.

« Triste et abandonnée est ma demeure, disait la chanson ; aucune voix ne s’y fait entendre, si ce n’est celle de la chouette. Nul barde ne charme la longueur de mes nuits ; les ténèbres et la lumière sont égales pour moi. Le soleil ne luit point dans ma caverne ; je ne vois point flotter la chevelure dorée du matin, ni couler les flots de pourpre que verse l’astre du jour à son couchant. Mes yeux ne suivent point la lune à travers les pâles nuages ; je ne vois point ses rayons trembler à travers les arbres dans les ondes du ruisseau ; ils ne visitent point la caverne de Connar.

« Ah ! que ne suis-je tombé dans la tempête de Dorla ! ma renommée ne se serait pas évanouie comme le silencieux rayon de l’automne qui court sur les champs jaunis, entre les ombres et les brouillards. Les enfants sous le chêne ont senti un moment la chaleur du rayon, et l’ont bénie ; mais il passe : les enfants poursuivent leurs jeux, et le rayon est oublié.

« Oubliez-moi aussi, enfants de mon peuple, si vous n’êtes pas tombés comme moi, si Dorla, qui a envahi Duthona, n’a point soufflé sur vous dans votre jeunesse, comme l’haleine d’une gelée tardive sur les bourgeons du printemps. Que n’ai-je autrefois trouvé la mort à vos yeux, quand je marchai avec Fingal au-devant des forces de Swaran ! Le roi eût élevé ma tombe ; Ossian eût chanté ma gloire ; les bardes des futures années, en s’asseyant autour du foyer, eussent dit à l’ouverture de la fête : « Écoutez la chanson de Connar. »

« À présent, enchaîné dans cette caverne, je mourrai tout entier : ma tombe ne sera point connue ; le voyageur écartera sous ses pas, avec la pointe de sa lance, une herbe longue et flétrie ; il découvrira une pierre poudreuse : « Qui dort dans cette étroite demeure ? » demandera-t-il à l’enfant de la vallée, et l’enfant de la vallée lui répondra : « Son nom n’est point dans la chanson. »