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DUTHONA

POÈME

« Pourquoi, ô mers ! élevez-vous votre voix parmi les rochers de Morven ? Vent du midi, pourquoi épuises-tu ta rage sur mes collines ? Est-ce pour retenir ma voile loin des rivages de l’ennemi, pour arrêter le cours de ma gloire ? Mais, ô mers ! vos flots mugissent en vain ; vent du midi, tu peux souffler, mais tu n’empêcheras point les vaisseaux de Fingal de voler à la contrée lointaine de Dorla : ta fureur se calmera, et la surface azurée de l’Océan deviendra tranquille et brillante. Oui, le bruit de la tempête cessera, mais la mémoire de Fingal ne périra point. »

Ainsi parla le roi, et ses guerriers se rangèrent autour de lui. Le vent siffle dans les cheveux touffus de Dumolach ; Leth se penche sur son bouclier d’airain, tout ridé de mille cicatrices ; Molo agite dans les airs sa lance étincelante ; la joie de la bataille est dans les yeux de Gormalon.

Nous cinglons à travers l’écume houleuse de l’Océan : les baleines effrayées plongent au fond de l’abîme, les îles fuient ; elles s’abaissent tour à tour derrière nous sous l’onde , et Duthona sort peu à peu devant nous du sein des flots. Les vagues roulantes et élevées nous en dérobent de temps en temps la vue. « C’est la terre de Connar, dit Fingal, le pays de l’ami de mon peuple. »

La nuit descend ; le ciel est ténébreux ; le pilote cherche en vain de ses regards l’étoile qui nous guide ; il l’entrevoit quelquefois à travers le voile déchiré d’un nuage : mais l’ouverture se referme, et le flambeau de notre route se cache. « Les pas de la nuit sur l’abîme , dit Fingal, sont menaçants ; que notre vaisseau se repose au rivage jusqu’au retour de la lumière. »