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PRÉFACE

Le succès des poèmes d’Ossian en Angleterre fit naître une foule d’imitateurs de Macpherson. De toutes parts on prétendit découvrir des poésies erses ou galliques ; trésors enfouis que l’on déterrait, comme ceux de quelques mines de la Cornouaille, oubliées depuis le temps des Carthaginois. Les pays de Galles et d’Irlande rivalisèrent de patriotisme avec l’Écosse ; toute la littérature se divisa : les uns soutenaient avec Blair que les poèmes d’Ossian étaient originaux ; les autres prétendaient avec Johnson qu’Ossian n’était autre que Macpherson. On se porta des défis ; on demanda des preuves matérielles : il fut impossible de les donner, car les textes imprimés des chants du fils de Fingal ne sont que des traductions galliques des prétendues traductions anglaises d’Ossian.

Lorsqu’en 1793 la révolution me jeta en Angleterre, j’étais grand partisan du barde écossais : j’aurais, la lance au poing, soutenu son existence envers et contre tous, comme celle du vieil Homère. Je lus avec avidité une foule de poèmes inconnus en France, lesquels, mis en lumière par divers auteurs, étaient indubitablement à mes yeux du père d’Oscar, tout aussi bien que les manuscrits runiques de Macpherson. Dans l’ardeur de mon admiration et de mon zèle, tout malade et tout occupé que j’étais[1], je traduisis quelques productions ossianiques de John Smith. Smith n’est pas l’inventeur du genre ; il n’a pas la noblesse et la verve épique de Macpherson, mais peut-être son talent a-t-il quelque chose de plus élégant et de plus tendre. Au reste, ce pseudonyme, en voulant peindre des hommes barbares et des mœurs sauvages,

  1. Voyez la Préface de l’Essai historique, Œuvres complètes.