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en augmente si prodigieusement la beauté… : le reste de l’inscription était effacé.

« C’est pour toi qu’elle a été faite, cette inscription, dit Aben-Hamet. Sultane aimée, ces palais n’ont jamais été aussi beaux dans leur jeunesse qu’ils le sont aujourd’hui dans leurs ruines. Écoute le bruit des fontaines dont la mousse a détourné les eaux ; regarde les jardins qui se montrent à travers ces arcades à demi tombées ; contemple l’astre du jour qui se couche par delà tous ces portiques : qu’il est doux d’errer avec toi dans ces lieux ! Tes paroles embaument ces retraites, comme les roses de l’hymen. Avec quel charme je reconnais dans ton langage quelques accents de la langue de mes pères ! Le seul frémissement de ta robe sur ces marbres me fait tressaillir. L’air n’est parfumé que parce qu’il a touché ta chevelure. Tu es belle comme le Génie de ma patrie au milieu de ces débris. Mais Aben-Hamet peut-il espérer de fixer ton cœur ? Qu’est-il auprès de toi ? Il a parcouru les montagnes avec son père ; il connaît les plantes du désert… hélas ! il n’en est pas une seule qui pût le guérir de la blessure que tu lui as faite ! Il porte des armes, mais il n’est point chevalier. Je me disais autrefois : L’eau de la mer qui dort à l’abri dans le creux du rocher est tranquille et muette, tandis que tout auprès la grande mer est agitée et bruyante. Aben-Hamet ! ainsi sera ta vie, silencieuse, paisible, ignorée dans un coin de terre inconnu, tandis que la cour du sultan est bouleversée par les orages. Je me disais cela, jeune chrétienne, et tu m’as prouvé que la tempête peut aussi troubler la goutte d’eau dans le creux du rocher. »

Blanca écoutait avec ravissement ce langage nouveau pour elle, et dont le tour oriental semblait si bien convenir à la demeure des Fées, qu’elle parcourait avec son amant. L’amour pénétrait dans son cœur de toutes parts ; elle sentait chanceler ses genoux, elle était obligée de s’appuyer plus fortement sur le bras de son guide. Aben-Hamet soutenait le doux fardeau, et répétait en marchant : « Ah ! que ne suis-je un brillant Abencerage ! »

« Tu me plairais moins, dit Blanca, car je serais plus tourmentée : reste obscur et vis pour moi. Souvent un chevalier célèbre oublie l’amour pour la renommée. »

« Tu n’aurais pas ce danger à craindre, » répliqua vivement Aben-Hamet.

« Et comment m’aimerais-tu donc si tu étais un Abencerage ? » dit la descendante de Chimène.

« Je t’aimerais, répondit le Maure, plus que la gloire et moins que l’honneur. »