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AVERTISSEMENT

Les Aventures du dernier Abencerage sont écrites depuis à peu près une vingtaine d’années : le portrait que j’ai tracé des Espagnols explique assez pourquoi cette nouvelle n’a pu être imprimée sous le gouvernement impérial. La résistance des Espagnols à Buonaparte, d’un peuple désarmé à ce conquérant qui avait vaincu les meilleurs soldats de l’Europe, excitait alors l’enthousiasme de tous les cœurs susceptibles d’être touchés par les grands dévouements et les nobles sacrifices. Les ruines de Saragosse fumaient encore, et la censure n’aurait pas permis des éloges où elle eût découvert, avec raison, un intérêt caché pour les victimes. La peinture des vieilles mœurs de l’Europe, les souvenirs de la gloire d’un autre temps et ceux de la cour d’un de nos plus brillants monarques, n’auraient pas été plus agréables à la censure, qui d’ailleurs commençait à se repentir de m’avoir tant de fois laissé parler de l’ancienne monarchie et de la religion de nos pères : ces morts que j’évoquais sans cesse faisaient trop penser aux vivants.

On place souvent dans les tableaux quelque personnage difforme pour faire ressortir la beauté des autres : dans cette Nouvelle, j’ai voulu peindre trois hommes d’un caractère également élevé, mais ne sortant point de la nature et conservant, avec des passions, les mœurs et les préjugés mêmes de leur pays. Le caractère de la femme est aussi dessiné dans les mêmes proportions. Il faut au moins que le monde chimérique, quand on s’y transporte, nous dédommage du monde réel.

On s’apercevra facilement que cette Nouvelle est l’ouvrage d’un homme qui a senti les chagrins de l’exil et dont le cœur est tout à sa patrie.