Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 10.djvu/447

Cette page n’a pas encore été corrigée

révolutions, chacun ouvre son billet, il se fait une amère et ironique distribution des dons de la fortune : un homme se couvre d'honneurs et de cordons, un homme monte à l'échafaud ; tous deux ont fait la même chose, ont risqué le même enjeu. Pierre est plongé dans la richesse, c'était un ennemi ; Paul dans la misère, c'était un ami. Celui-ci est récompensé de sa trahison, celui-là puni de sa fidélité.

Le pauvre Harrison, traduit devant ses juges, leur dit : « Plusieurs d'entre vous, mes juges, furent actifs avec moi dans les choses qui se sont passées en Angleterre... Ce qui a été fait l'a été par l'ordre du parlement, alors la suprême autorité. »

L'excuse était de bonne foi, mais mauvaise. Il suffirait qu'un pouvoir légal nous commandât une action injuste, pour que nous fussions obligés de la commettre. La loi morale l'emporte en certains cas sur la loi politique ; autrement on pourrait supposer une société constituée de sorte que le crime y fût le droit commun. Enfin le rump n'était pas le vrai parlement, le parlement légal .

Harrison était un homme simple d'esprit et de coeur, une espèce de fou fanatique de la cinquième monarchie ; franc républicain, il s'était séparé de Cromwell, oppresseur de la liberté. Ce fut à propos d'Harrison qu'un juge appliqua au peuple anglais le bel apologue de l'enfant devenu muet, qui recouvre la parole en apercevant le meurtrier de son père [1] . Tout criminel qu'il était, Harrison était plus estimable que beaucoup d'autres hommes ; mais il y a des fatalités dans la vie : tel, d'un caractère noble et pur, tombe dans une impardonnable erreur ; chacun le repousse : tel, vil et corrompu par nature, n'a point eu l'occasion de faillir ; chacun le recherche. L'un est condamné au tribunal des hommes : l'autre au tribunal de Dieu.

On découvrit au procès des juges de Charles Ier que les deux bourreaux masqués étaient un nommé Walker et un nommé Hulet, tous deux militaires : Hulet était capitaine Garlland, qui occupait le fauteuil dans le meeting régicide, fut accusé par un témoin d'avoir craché à la figure du roi ; Axtell, monstre de cruauté, qui tuait, dit le procès, les Irlandais comme la vermine, Axtell, anabaptiste et agitateur, fut convaincu d'avoir obligé les soldats de crier justice, exécration ! de les avoir pressés de tirer sur la tribune de lady Fairfax, de leur avoir fait brûler de la poudre au visage de l'auguste prisonnier. Tous ces hommes soutinrent que leur cause était celle de Dieu . Thomas Scott montra plus de fermeté. Il avait déclaré dans le parlement « qu'il ne se repentirait

  1. J'ai cité ce passage du procès de Harrison dans le ch. II des Réflexions politiques, t. VII, p. 58 et 59. (N.d.A.)