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ce qui est immortel, de l'autre on ne donne pas la mort à la mort. Les dispendieuses funérailles qui n'ajoutaient rien à la grandeur de l'homme, et qui ne légitimaient pas l'usurpateur, ruinèrent Richard Cromwell ; il fut obligé de demander aux communes un bill suspensif des lois, afin de n'être pas arrêté pour les dettes contractées à l'occasion des obsèques de son père. L'Angleterre, qui ne paya pas l'enterrement de celui qu'elle avait reconnu pour maître, s'est chargée depuis des frais d'inhumation d'un simple ministre des finances.

Que devint la famille de Cromwell ?

Richard eut un fils et deux filles ; le fils ne vécut pas. Henri habita une petite ferme, où Charles II entra un jour par hasard, en revenant de la chasse. Il est possible qu'un héritier direct d'Olivier Cromwell par Henri soit maintenant quelque paysan irlandais inconnu, catholique peut-être, vivant de pommes de terre dans les tourbières d'Ulster, attaquant la nuit les orangistes, et se débattant contré les lois atroces du Protecteur. Il est possible encore que ce descendant inconnu de Cromwell ait été un Franklin ou un Washington en Amérique.

Lady Claypole mourut sans enfants. Nous savons par une mauvaise plaisanterie d'un chapelain de Cromwell que lady Falconbridge fut également privée de postérité. Restent lady Rich, depuis lady John Russel, et lady Ireton, qui épousa en secondes noces le général Fleetwood. Nous trouvons une mistress Cook de Newington en Middlesex petite-fille du général Fleetwood, qui communiqua une lettre de Cromwell à William Harris, biographe du Protecteur.

La famille de Buonaparte ne se perdra pas comme celle de Cromwell : le perfectionnement de l'administration civile ne permettrait plus cette disparition. D'ailleurs rien ne se ressemble sous ce rapport dans la position et la destinée des deux hommes.

Le Protecteur ne sortit point de son île : les troubles de 1640 commencèrent et finirent dans la Grande-Bretagne. Nos discordes se sont mêlées à celles du monde entier ; elles ont bouleversé les nations, renversé les trônes. Ce qui distingue les derniers mouvements politiques de la France de tous les mouvements politiques connus, c'est qu'ils furent à la fois un affranchissement pour nous et un esclavage pour nos voisins, une révolution et une conquête. Demandez aux Arabes de la Libye et de la mer Morte ; demandez aux nababs des Indes le nom de Cromwell, ils l'ignorent. Demandez-leur le nom de Napoléon, ils vous le diront comme celui d'Alexandre.

Cromwell immola Charles Ier et prit sa place ; Buonaparte, retournant dix siècles en arrière, ne s'empara que de la couronne de Charlemagne ; il fit et défit des rois, mais n'en tua point.