Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 10.djvu/437

Cette page n’a pas encore été corrigée

ébranlé l'île des Bretons ; que l'Océan s'était soulevé en perdant son maître ; que Cromwell, comme Romulus, avait disparu dans un orage. Les faits se réduisaient à une fièvre et à un coup de vent.

Cromwell eut quelque chose de Hildebrand, de Louis XI et de Buonaparte ; il eut du prêtre, du tyran et du grand homme : son génie remplaça pour son pays la liberté. Il y avait trop de puissance en Cromwell pour qu'il pût créer une autre puissance ; il tua toutes les institutions qu'il trouva ou qu'il voulut donner.

La plupart des souverains de l'Europe mirent des crêpes funèbres pour pleurer la mort d'un régicide : Louis XIV porta le deuil de Cromwell auprès de la veuve de Charles Ier. Une couronne, même usurpée, absout-elle d'un crime ?

Ce nom de Cromwell, qui produisait la lâcheté européenne, faisait passer en Angleterre le pouvoir absolu entre les mains du faible Richard : tant il y a de puissance dans la gloire ! Cromwell laissa l'empire à son fils ; mais ces génies en qui commence un autre ordre de choses, soit en bien, soit en mal, sont solitaires ; ils ne se perpétuent que par leurs oeuvres, jamais par leur race.

Le Protecteur vécut l'âge des hommes de sa nature : leur règne le plus court est ordinairement de neuf à dix ans, et le plus long de vingt à vingt-deux. Ces calculs historiques, que rien ne semble démentir, reposent sans doute sur quelque vérité naturelle : il se peut faire que la force physique d'un homme placé au plus haut point des révolutions se trouve épuisée dans une période de trois ou quatre lustres.

Achevons de suite, en anticipant même un peu sur les faits, ce qui a rapport à Cromwell.

Thurloe déclarait que Cromwell était monté au ciel, embaumé des larmes de son peuple : Cromwell, plus franc au moment où la grande vérité, la mort, se présente aux hommes, avait dit : « Plusieurs m'ont trop estimé, d'autres souhaitent ma fin. » La bassesse de la flatterie qui survit à l'objet de l'adulation n'est que l'excuse d'une conscience infirme : on exalte un maître qui n'est plus, pour justifier par l'admiration la servilité passée.

Richard fit de magnifiques funérailles à son père. Le corps embaumé du Protecteur fut exposé pendant deux mois au palais de Sommerset, dans une salle tendue de velours noir, et où l'on ne comptait pas moins de mille flambeaux. Portant un vêtement de brocart d'or fourré d'hermine, une figure en cire, l'épée au côté, un sceptre dans la main droite, un globe dans la gauche, représentait le Protecteur ; elle était couchée sur un lit funèbre. Une épitaphe racontait en abrégé l'histoire de Cromwell et de sa famille. « Il mourut, disait l'épitaphe, avec grande