Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 10.djvu/411

Cette page n’a pas encore été corrigée

parla comme il s'ensuit, adressant ses paroles particulièrement au colonel Thomlinson :

« J'ai fort peu de choses à dire, c'est pourquoi je m'adresse à vous, et vous dirai que je me tairais fort volontiers si je ne craignais que mon silence ne donnât sujet à quelques-uns de croire que je subis la faute comme je fais le supplice ; mais je crois que pour m'acquitter envers Dieu et mon pays je dois me justifier comme bon chrétien et bon roi, et finalement comme homme de bien.

« Je commencerai premièrement par mon innocence ; et en vérité je crois qu'il ne m'est pas nécessaire de vous entretenir longtemps sur ce sujet. Tout le monde sait que je n'ai jamais commencé la guerre avec les deux chambres du parlement, et j'appelle Dieu à témoin (auquel je dois bientôt rendre compte) que je n'ai jamais eu intention d'usurper sur leurs privilèges ; au contraire, ils commencèrent eux-mêmes en se saisissant des arsenaux ; ils confessent qu'ils m'appartiennent, mais ils jugèrent qu'il était nécessaire de me les ôter ; et pour le faire court, si quelqu'un veut regarder les dates des commissions de leurs députés et des miens comme des déclarations, il verra évidemment qu'ils ont commencé ces malheureux désordres, et non pas moi : de sorte que j'espère que Dieu vengera mon innocence... Non, je ne le veux pas ! j'ai de la charité ; à Dieu ne plaise que j'en impute la faute aux deux chambres du parlement ; il n'est pas besoin ni de l'une ni de l'autre ; j'espère qu'ils sont exempts de ce crime, car je crois que les mauvais ministres d'entre eux et moi ont été les causes principales de tout ce sang répandu. Tellement que, par manière de parler, comme je m'en trouve exempt, j'espère (et prie Dieu qu'ainsi soit) qu'ils le soient aussi. Néanmoins à Dieu ne plaise que je sois si mauvais chrétien que je ne confesse que les jugements de Dieu sont justes contre moi : car souventes fois il punit justement par une injuste vengeance ; cela se voit ordinairement. Je dirai seulement qu'un injuste arrêt [1] que j'ai souffert être exécuté est puni à présent par un autre injuste, donné contre moi-même . Ce que j'ai dit jusque ici est pour vous faire voir mon innocence.

« Maintenant, pour vous faire voir que je suis un bon chrétien, voilà un honnête homme (montrant au doigt le sieur Juxon), lequel portera témoignage que j'ai pardonné à tout le monde, et en particulier à ceux qui sont auteurs de ma mort ; quels y sont, Dieu le sait, je prie Dieu de leur pardonner. Mais ce n'est pas tout : il faut que ma charité passe plus avant ; je souhaite qu'ils se repentent, car véritablement ils

  1. L'arrêt de mort du comte de Strafford.