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que l'eau. Une conscience paralysée et une conscience vertueuse produisent la même paix ; elles portent légèrement la vie, avec cette différence : l'une ne sent pas le fardeau du remords, l'autre le poids de l'adversité.

Cromwell joua auprès de Fairfax une autre comédie : celui-ci voulait, avec son régiment, tenter de délivrer le roi. Cromwell, secondé d'Ireton, s'efforça de persuader à Fairfax que le Seigneur avait rejeté Charles. Ils l'engagèrent à implorer le ciel pour en obtenir un oracle, cachant toutefois à leur honorable dupe qu'ils avaient déjà signé l'ordre de l'exécution.

Le colonel Harrison, aussi simple que Fairfax, mais dans d'autres idées que lui, fut laissé par le gendre et le beau-père auprès de Fairfax : il fit durer les prières jusqu'au moment où la nouvelle arriva que la tête du roi était tombée.

Les lords Richmond, Lindsay, Southampton, Herforth, jadis ministres de Charles, demandèrent à subir la mort pour leur maître, comme seuls responsables, selon l'esprit de la constitution, des actes de la couronne. Les factions ne reconnurent point cette noble responsabilité : le crime donna un bill d'indemnité aux ministres. L'Ecosse menaça ; la France et l'Espagne firent des représentations, assez froides à la vérité ; la Hollande agit plus vivement en vain.

Charles avait écouté sa sentence sans donner d'autre signe d'émotion qu'une contraction dédaigneuse des lèvres lorsqu'il s'entendit déclarer tyran, traître, meurtrier, ennemi de la république, et condamné comme tel à avoir la tête tranchée. Les soixante-treize commissaires restant des cent quarante-quatre nommés se levèrent tous en signe d'adhésion à l'arrêt, qui fut lu à haute voix. Charles témoigna le désir de parler après la lecture ; on lui interdit la parole : il n'était plus vivant aux yeux de la loi.

Pendant les trois jours accordés au prisonnier pour se préparer à la mort, le seul bruit de la terre qui lui parvint dans sa solitude fut celui des ouvriers qui dressaient l'échafaud. Deux enfants de Charles restaient entre les mains des républicains, la princesse Elisabeth et le duc de Glocester, âgé de trois ans ; on les lui amena. Il prit ce dernier sur ses genoux, et lui dit : « Ils vont couper la tête à ton père ; peut-être te voudront-ils faire roi ; mais tu ne peux pas être roi tant que tes frères aînés, Charles et Jacques, seront vivants. » L'enfant répondit : « Je me laisserai plutôt mettre en pièces. » Le père embrassa bientôt l'orphelin, en répandant des larmes de tendresse. Cromwell, qui se réservait la couronne, voulait faire du duc de Glocester un marchand de boutons. Le jeune roi Louis XVII et sa sainte et noble soeur