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noblesse, une patience, un sang-froid, un courage qui effacèrent le souvenir de ses faiblesses. Il déclina la compétence de la cour, et, la tête couverte, parla en roi.

Bradshaw opposa à Charles la souveraineté du peuple ; il accusa le prince d'avoir violé la loi, opprimé les libertés publiques et versé le sang anglais. Cette controverse politique n'était qu'une plaidoirie dérisoire devant la mort séant au tribunal. On entendit des témoins qui prouvèrent que le roi avait commandé ses troupes dans diverses affaires : en France on n'aurait pas tué un roi pour s'être battu.

Lady Fairfax montra la généreuse audace particulière aux femmes : de la tribune où elle assistait au procès, elle osa contredire les commissaires. On la menaça de faire tirer les soldats sur les tribunes.

Les juges, se reconnaissant bourreaux, avaient déposé une épée sur la table à laquelle étaient assis les deux secrétaires du tribunal. Charles, passant devant cette table, toucha le glaive du bout de la canne qu'il tenait à la main, et dit : « Il ne me fait pas peur. » Il disait vrai.

Il avait pareillement touché avec cette canne l'épaule de l'avocat général Coke, en lui adressant le cri parlementaire Hear ! hear ! (Ecoutez ! écoutez !) lorsque Coke commença la plaidoirie. La pomme d'argent de la canne tomba. Amis et ennemis en conclurent que le roi serait décapité.

Charles, entendant autour de lui les exclamations : « Justice ! justice ! Exécution ! exécution ! » sourit de pitié.

Un misérable, peut-être un des juges, lui crache au visage : il s'essuie tranquillement. « Les pauvres soldats, dit-il ensuite à Herbert (le Cléry du devancier de Louis XVI), les pauvres soldats ne m'en veulent pas ; ils sont excités à ces insultes par leurs chefs, qu'ils traiteraient de la même manière pour un peu d'argent. » Un de ces soldats, qui lui témoignait quelque commisération, fut rudement frappé par un officier. « La punition me semble passer l'offense » dit Charles.

La religion soutenait le monarque : il pensait partager ces ignominies avec le Roi des rois, et cette comparaison élevait son âme au-dessus des misères de la vie. Il ne s'attendrit qu'en entendant le peuple s'écrier derrière les gardes : « Que Dieu préserve Votre Majesté ! » Ce ne sont pas les outrages, ce sont les marques de bonté qui brisent le coeur des malheureux.

Dans les intervalles des séances, les commissaires se retiraient pour délibérer entre eux dans la chambre peinte . C'est ce qui arriva surtout le troisième jour du jugement, lorsque le roi proposa de s'expliquer devant un comité composé de lords et de membres des communes,