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devenu suspect au parlement et aux soldats, assembla les officiers : dans un conseil secret il fut résolu, quand l'armée aurait achevé de s'emparer de tous les pouvoirs, de mettre le roi en jugement pour crime de tyrannie ; crime que cette indépendante armée employait à son profit, le regardant sans doute comme un de ses privilèges ou l'une de ses libertés.

Or, le parlement, tout mutilé qu'il était déjà, essayait de résister encore ; il continuait de traiter avec le roi. Lorsque les commissaires de cette assemblée devenue impuissante furent introduits au château de Carisbrook, ils demeurèrent frappés de respect à la vue de cette tête blanchie et découronnée, comme l'appelle Charles dans quelques vers qui nous restent de lui. Les débats entre les commissaires et le roi s'ouvrirent sur des points de discipline religieuse, et l'on ne s'entendit point ; tel était le génie de l'époque : on sacrifiait tout à l'entêtement d'une controverse. Cependant les libertés publiques, et notamment la liberté de la presse, pour lesquelles on prétendait tout faire, étaient sacrifiées aux partis tour à tour triomphants. Des brochures intitulées Cause de l'armée, Accord du peuple, étaient déclarées par les parlementaires attentatoires à l'autorité du gouvernement ; la force militaire, de son côté, obtenait, sur la demande du général Fairfax, que tout écrit serait soumis à la censure et que le censeur serait désigné par le général. Les factions, même les factions républicaines, n'ont jamais voulu la liberté de la presse : c'est le plus grand éloge que l'on puisse faire de cette liberté.

Cependant les niveleurs poussèrent si loin leur politique de théorie, qu'ils donnèrent des craintes sérieuses à Cromwell. Il se présente tout à coup à l'un de leurs rassemblements avec le régiment rouge qu'il commandait, et dont les soldats étaient surnommés côtes de fer. Il tue deux démagogues de sa main, en fait pendre quelques autres, dissipe le reste. Que disaient les lois de ces homicides arbitraires, dans ce temps de liberté légale ? Rien.

Les Ecossais, honteux d'avoir livré leur maître, courent aux armes ; Cromwell les bat et fait prisonnier leur général, le duc d'Hamilton ; des royalistes, obligés de capituler dans la ville de Colchester, sont exposés au marché comme un troupeau de nègres, et encaqués pour la Nouvelle-Angleterre : Charles II, rendu à sa puissance, oublia de les racheter : l'ingratitude des rois fit de la postérité de ces infortunés prisonniers des hommes libres, sur le même sol où ils avaient été vendus comme esclaves des rois.

L'armée victorieuse demanda, d'abord en termes couverts, et ensuite patemment, le jugement du roi. Diverses garnisons du royaume