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donna une couronne : Cromwell fût redevenu sujet obscur, mais vertueux ; la liberté lui imposa le crime, le despotisme et la gloire.

Cromwell jouait vraisemblablement un double jeu ; si les négociations avec Charles réussissaient, elles le menaient à la fortune ; si elles échouaient, il trouvait, en abandonnant le roi, d'autres honneurs : d'un côté la prudence et l'intérêt lui conseillaient de se rapprocher de Charles ; de l'autre, sa haine plébéienne et son ambition démesurée l'en écartaient. Ainsi s'expliquerait mieux l'ambiguïté de la conduite de Cromwell que par la profonde hypocrisie d'une trahison non interrompue et inébranlablement décidée d'avance à se porter aux derniers excès.

Dans ces négociations tant de fois reprises et rompues avec les divers partis, Charles lui-même fut généralement accusé de fausseté. Il avait le tort de trop écrire et de trop parler : ses billets, ses lettres, ses déclarations, ses propos, finissaient par être connus de ses ennemis, qui à cet effet se servaient souvent de moyens peu honorables. Après la bataille de Naseby (14 juin 1645), on trouva dans une cassette perdue des lettres et des papiers importants : ils furent lus dans une assemblée populaire à Guildhall, et publiés ensuite avec des notes, par ordre du parlement, sous ce titre : Le portefeuille du roi ouvert, etc . Ces papiers et ces lettres (du roi et de la reine) prouvaient trop que Charles ne regardait pas sa parole comme engagée, qu'il songeait à appeler des armées étrangères, et qu'il était toujours entêté des maximes du pouvoir absolu [1] .

C'est encore ainsi qu'avant de quitter Oxford pour se livrer aux Ecossais, il avait écrit à Digby que si les presbytériens ou les indépendants ne se joignaient à lui, ils s'égorgeraient les uns les autres, et qu'alors il deviendrait roi.

Lorsque, saisi à Holmby par l'armée, Charles fut conduit à Hamptoncourt, il adressa à la reine une lettre dans laquelle, après s'être expliqué sur sa position, il ajoutait : « En temps et lieu je saurai agir

  1. J'ai déjà cité ces papiers et ces lettres. Malgré la candeur des saints, et les certifiés conformes, il ne m'est pas prouvé que le texte soit religieusement conservé. Outre les raisons matérielles et morales que je pourrais apporter de mon opinion, je remarquerai que ce fut Cromwell, le plus grand des fourbes, qui vainquit les scrupules des parlementaires et les détermina à faire publier ces documents. Sous le Directoire, n'a-t-on pas falsifié et interpolé les Mémoires même de Cléry ? Sous Buonaparte même on employait ces odieux moyens, bien indignes de son génie et de sa puissance. Pendant les Cent Jours ne publia-t-on pas à Paris les lettres altérées de Mgr le duc d'Angoulême à S.A.R. Mme la duchesse d'Angoulême, et jusqu'à une fausse édition de mon Rapport fait au roi dans son conseil à Gand ? Les partis sont sans conscience : tout leur est bon pour réussir. (N.d.A.)