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devancé : ce n'était pas sa nation seule qui l'entraînait, c'était le genre humain ; il voulut ce qui n'était plus possible. La liberté conquise s'alla perdre d'abord dans le despotisme militaire, qui la dépouilla de son anarchie ; mais enlevée aux pères, elle fut substituée aux fils, et resta en dernier résultat à l'Angleterre.

Dans les combats de plume qui précédèrent des combats plus sanglants, le parti de Charles eut presque toujours raison par le fond et par la forme : ce parti posa très nettement les questions relatives aux formes du gouvernement ; il prouva que la constitution anglaise était composée de monarchie, d'aristocratie et de démocratie (c'était la première fois que l'on s'exprimait ainsi) ; il prouva que les demandes du parlement tendaient à dénaturer la constitution monarchique et à jeter la Grande-Bretagne dans l'état populaire, le pire de tous les états. Falkland et Clarendon écrivaient pour le roi ; tous deux étaient ennemis déclarés des mesures arbitraires de la cour.

Pourquoi un parti si raisonnable dans ses doctrines ne fut-il pas écouté ? C'est qu'on ne le crut pas sincère, et qu'ensuite il était froid ; il se trouvait placé du côté d'un pouvoir qui tendait à conserver, tandis que les passions étaient du côté d'un pouvoir qui voulait détruire. Enfin, ce parti était dépassé dans ses sentiments de liberté par les puritains, qui marchaient à la république. Plus tard on retourna aux principes de Clarendon et de Falkland ; mais il fallut dévorer vingt ans de calamités. Ainsi nous sommes revenus en 1814 aux doctrines de 1789 : nous aurions pu nous épargner le luxe de nos maux.

Cependant (il est triste de le dire), les crimes et les misères des révolutions ne sont pas toujours des trésors de la colère divine dépensés en vain chez les peuples. Ces crimes et ces misères profitent quelquefois aux générations subséquentes, par l'énergie qu'ils leur donnent, les préjugés qu'ils leur enlèvent, les haines dont ils les délivrent, les lumières dont ils les éclairent. Ces crimes et ces misères, considérés comme leçons de Dieu, instruisent les nations, les rendent circonspectes, les affermissent dans des principes de liberté raisonnables ; principes qu'elles seraient toujours tentées de regarder comme insuffisants si l'expérience douloureuse d'une liberté sous une autre forme n'avait été faite.

Falkland a laissé un de ces souvenirs mêlés de mélancolie et d'admiration qui attendrissent l'âme. Il était doué du triple génie des lettres, des armes et de la politique. Il fut fidèle aux muses sous la tente, à la liberté dans le palais des rois, dévoué à un monarque infortuné sans méconnaître les fautes de ce monarque. Accablé des maux de son pays, fatigué du poids de l'existence, il se laissa aller à une tristesse