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De tous les conseillers de la couronne, Juxon, évêque de Londres, eut seul le courage de dire au roi qu'il ne devait pas souscrire à la condamnation s'il ne trouvait pas Strafford coupable. Exemple frappant de la justice divine ! ce fut ce même Juxon, cet équitable et courageux prélat, qui assista Charles Ier à l'échafaud.

Lorsque Strafford apprit que son supplice avait été autorisé, il se leva avec étonnement de son siège, et s'écria dans le langage de l'Ecriture ; « Ne mettez point votre confiance dans la parole des princes ni dans les enfants des hommes. » Strafford avait-il cru au courage du roi ? un reste d'amour de la vie s'était-il caché au fond du coeur d'un grand homme ?

Charles n'apaisa point les esprits en laissant verser le sang de son ministre : une lâcheté n'a jamais sauvé personne. Les princes de la terre, que des fautes ou des crimes exposent souvent à perdre la couronne, feraient mieux de la compromettre quelquefois pour des causes saintes.

Au surplus, l'infortuné Stuart ne cessa de se reprocher sa faiblesse : condamné à son tour, il déclara que sa mort était un juste talion de celle de Strafford. Cette confession publique, prononcée à haute voix sur l'échafaud, est une des plus hautes leçons de l'histoire : la postérité n'a pas absous l'ami, mais elle a pardonné au monarque en faveur de la sincérité du repentir et de la grandeur de l'expiation.

Strafford s'était certainement rendu coupable d'actes arbitraires en Irlande ; mais l'Irlande avait été gouvernée. Je tout temps par l'autorité militaire et par des lois exceptionnelles. D'ailleurs les limites des privilèges de la couronne et des droits du parlement étaient encore si confuses, que l'on se pouvait ranger du côté d'un de ces deux pouvoirs d'après des antécédents d'une égale autorité. Cinquante ans plus tard, Strafford eût été sévèrement mais justement condamné ; à l'époque de l'arrêt prononcé sur lui, les lois qu'on lui appliqua étaient ou non faites, ou contestées, ou détruites par d'autres lois. Le bill d' attainder renferma implicitement le délit et la peine ; la sentence fut à la fois un jugement et une loi, laquelle loi avait un effet rétroactif : il y eut donc violence et iniquité.

Strafford se prépara au supplice avec le plus grand calme [1] . Le 22 mai 1641, au matin, on le conduisit au lieu de l'exécution : en passant au pied de la tour où l'archevêque Laud, accusé comme lui, était renfermé, il éleva la voix, et pria le prélat de le bénir. Le vieillard

  1. J'invite à lire, dans la collection des lettres de Strafford, la lettre qu'il écrivit à son fils avant d'aller à l'échafaud. (N.d.A.)