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jugement soit pour la vie ou pour la mort, je me reposerai plein de gratitude et d'amour dans les bras du grand Auteur de mon existence. »

Socrate fut moins soumis : il accusa ses juges à la fin de son apologie. « Il est temps, leur dit-il, que je me retire, vous, pour vivre, moi, pour mourir. »

Ce ne fut qu'à force de menaces que l'on parvint à faire condamner Strafford dans la chambre des pairs : malgré ces violences, dix-neuf voix sur quarante-six l'osèrent encore absoudre.

L'accusé, dans sa défense, avait surtout foudroyé Pym, l'accusateur, réduit à balbutier une misérable réplique. L'animosité des communes contre Strafford n'était peut-être si grande que parce que le noble pair avait fait partie de la chambre populaire, et qu'il s'était montré lui même ardent adversaire de la couronne. Les chefs plébéiens le regardaient comme un déserteur. L'envie s'attachait aussi à l'élévation du ministre de Charles : le mérite oublié plaît ; récompensé, il offusque.

Enfin, il faut dire encore que les partis ont un merveilleux instinct pour découvrir et pour perdre les hommes de taille à les combattre. Dans les grandes révolutions, le talent qui heurte de front ces révolutions est écrasé ; le talent qui les suit peut seul s'en rendre maître : il les domine lorsque, ayant épuisé leurs forces, elles n'ont plus pour elles le poids des masses et l'énergie des premiers mouvements. Mais cette sorte de talent complice appartient à des personnages plus grands par la tête que par le coeur, car ils sont longtemps obligés de se cacher dans le crime pour s'emparer de la puissance.

Charles dans son palais, tremblant pour les jours de la reine, nomma une commission chargée de ratifier tous les bills portés à la sanction royale. Parmi ces bills se trouvait celui qui condamnait Strafford : dernière et misérable faiblesse d'un prince qui cherchait à couvrir son ingratitude à ses propres yeux, en comprenant dans un acte général de l'autorité suprême l'acte particulier qui donnait la mort à un ami ! On sait que le monarque fut déterminé à permettre l'exécution de la sentence par la chose même qui l'aurait dû affermir dans la résolution de s'y opposer. Le magnanime Strafford écrivit une lettre à Charles pour dégager la conscience de son roi et lui donner la permission de le faire mourir.

« Ma vie, lui mandait-il, ne vaut pas les soins que Votre Majesté prend pour me la conserver : je vous la donne avec empressement en échange des bontés dont vous m'ayez comblé, et comme un gage de réconciliation entre vous et votre peuple. Jetez seulement un regard de compassion sur mon pauvre fils et sur ses trois soeurs. »