Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 10.djvu/384

Cette page n’a pas encore été corrigée

des colonels de cavalerie de l'armée parlementaire. Des pétitions étaient colportées de maison en maison, et revêtues de la signature d'honnêtes citoyens dont la bonne foi était surprise. Quiconque à la chambre basse se montrait modéré perdait son siège : on trouvait cent causes de nullité à son élection ; et quiconque entrait violemment dans les idées du jour restait député, sa nomination fût-elle entachée de tous les vices. Le pouvoir passé entièrement aux communes, il fut aisé de prévoir la mort de Strafford.

Cet homme n'eut qu'un défaut, et ce défaut le perdit : il méprisait trop les conseils et les obstacles. Fait par la nature pour commander, la moindre contradiction lui était insupportable. L'empire appartient sans doute aux talents, la souveraineté réside dans le génie ; mais c'est un malheur quand le sentiment d'une supériorité incontestable est révélé à celui qui la possède dans une seconde place, alors qu'il lui est impossible d'atteindre à la première. Ce qui serait grandeur et puissance légitime au plus haut degré de l'ordre social devient un degré plus bas orgueil et tyrannie.

Amené devant la chambre des pairs, Strafford sans assistance, sans préparation, sans connaître même les accusations dont il était chargé, luttant seul contre la faiblesse du roi, la fougue des communes, le torrent de l'inimitié populaire, Strafford se défendait avec tant de présence d'esprit, que ses juges n'osèrent d'abord prononcer la sentence.

Toutes les paroles de l'illustre infortuné furent calmes, dignes, pathétiques et modestes. Son discours, qui nous est resté, n'est point souillé du jargon de l'époque. Strafford, dans son adversité, se montra aussi supérieur aux Pym et aux Fiennes par la beauté du génie que par la grandeur de l'âme. La conclusion de sa défense, citée partout, arracha des pleurs à ses ennemis :

« Mylords, j'ai retenu ici vos seigneuries beaucoup plus longtemps que je ne l'aurais dû ; je serais inexcusable si je n'avais parlé pour l'intérêt de ces gages qu'une sainte, maintenant dans le ciel, m'a laissés (il montrait ses enfants, et ses pleurs l'interrompirent) ; ce que je perds moi-même n'est rien ; mais, je l'avoue, ce que mes indiscrétions vont faire perdre à mes enfants m'affecte profondément : je vous prie de me pardonner cette faiblesse. J'aurais voulu dire quelque chose de plus, mais j'en suis incapable à présent : ainsi je me tairai.

« Et maintenant, mylords, je remercie Dieu de m'avoir instruit, par sa grâce, de l'extrême vanité des biens de la terre comparés à l'importance de notre salut éternel. En toute humilité et en toute paix d'esprit, mylords, je me soumets à votre sentence. Que cet équitable