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pour n'avoir jamais su la vérité... que le plus grand des maux qui pouvaient arriver aux rois, et celui qui seul dévorait leurs empires, était d'ignorer la vérité. »

Cette insistance d'Henriette n'expliquerait-elle pas son premier penchant pour les parlementaires, et son antipathie pour Strafford, dont elle trouvait peut-être l'esprit trop absolu ? Elle ajouta dans cette conversation « qu'il fallait prendre garde à irriter les peuples ». Si Charles Ier ne s'était perdu que pour n'avoir pas connu la vérité, au dire de la reine, cette reine ne partageait donc pas l'entêtement du roi sur l'étendue de la prérogative ? Elle aimait les parlements : lorsqu'elle songea à quitter l'Angleterre avec Marie de Médicis, sa mère, les deux chambres lui présentèrent une humble pétition pour la supplier de ne pas s'éloigner. Henriette répondit en anglais par un gracieux discours qu'elle resterait, et qu'il n'y avait point de sacrifices que le peuple ne pût attendre d'elle [1] .

Après la mort de son mari, elle se donna le surnom de reine malheureuse, et elle porta le deuil toute sa vie.

L'épreuve la plus rude que cette reine eut à soutenir fut de solliciter un douaire de veuve auprès de l'homme qui l'avait faite veuve : Cromwell répondit au cardinal Mazarin qu'Henriette de France n'avait jamais été reconnue reine d'Angleterre. Cette réponse sauvage, qui transformait en concubine d'un prince étranger la fille d'un de nos plus grands rois, étonne moins que la demande même de cette petite-fille de Jeanne d'Albret. Lorsque Henriette apprit ce refus, elle dit noblement : « Ce n'est pas à moi, c'est à la France que cet outrage s'adresse. » Telle était en effet l'abjection où la politique d'un ministre sans honneur avait alors réduit notre patrie. Mazarin était descendu jusqu'à se faire l'espion de Cromwell auprès de la famille royale exilée : ce fait résulte d'une lettre de Cromwell, qui n'était lui-même qu'un grand espion couronné et armé.

Quelque temps auparavant, Henriette-Marie avait été forcée de demander au parlement de Paris ce qu'elle appelait une aumône.

Retirée à Chaillot, chez les soeurs de la Visitation, établies dans une maison bâtie par Catherine de Médicis, Henriette devint bigote : il est assez curieux de lire que Port-Royal lui avait offert de l'argent et un asile. Dans les histoires de sa vie, tristes sont ces petits contes de religieux et de religieuses, ces conseils de nonnes qui parlent des plus grands événements dont elles entendent à peine le bruit, qui jugent du fond de leurs cellules les choses de la politique, et qui, immobiles

  1. Journaux du P ., IV, 314. (N.d.A.)