Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 10.djvu/378

Cette page n’a pas encore été corrigée

rivages de la Seine les pasquinades sanglantes de la Fronde ; là le drame de la liberté, ici sa parodie. Les bouchers et les boulangers d'Angleterre veulent tuer Henriette-Marie dans le palais des Stuarts ; les bouchers et les boulangers de France lui refusent des aliments dans le palais des Bourbons, oubliant que leurs pères avaient été nourris par celui dont ils dédaignaient de nourrir la fille.

« Cinq ou six jours avant que le roi sortît de Paris, dit le cardinal de Retz, j'allai chez la reine d'Angleterre, que je trouvai dans la chambre de Mademoiselle, sa fille, qui a été depuis madame d'Orléans. Elle me dit d'abord : Vous voyez, je viens tenir compagnie à Henriette ; la pauvre enfant n'a pu se lever aujourd'hui faute de feu... La postérité aura peine à croire qu'une petite-fille d'Henri le Grand ait manqué d'un fagot pour se lever au mois de janvier dans le Louvre et sous les yeux d'une cour de France. »

Elle était souvent obligée de se promener des après-dînées entières dans les galeries du Louvre pour s'échauffer... Elle appréhendait non seulement les insultes du peuple de Paris, mais la dureté de ses créanciers... Les Parisiens ne la pouvaient souffrir, et un jour que le roi Charles II, son fils, se promenait sur une terrasse qui donnait du côté de la rivière, quelques mariniers lui firent des menaces ; ce qui l'obligea de se retirer, de peur de les aigrir davantage par sa présence [1] .

Triste et extraordinaire complication et ressemblance de destinée ! Henriette-Marie, en 1639, avait reçu à Whitehall sa mère exilée, Marie de Médicis. Les habitants de Londres, déjà soulevés contre la reine d'Angleterre, se portèrent à des excès contre l'ancienne reine de France. La fille de Henri IV, qui se défendait à peine contre la haine publique, fut obligée de demander une garde pour protéger la veuve de Henri IV : et Anne d'Autriche fut impuissante, à son tour, dans Paris, pour mettre à l'abri la soeur fugitive de Louis XIII et la tante de Louis le Grand.

Une fausse nouvelle parvint d'abord à la reine d'Angleterre sur la catastrophe du 30 janvier 1649 : le bruit courut que Charles Ier avait été délivré sur l'échafaud par le peuple ; mais la lettre d'adieu de l'infortuné monarque, qui fut remise à Henriette le 9 février, dans le couvent des Carmélites à Paris, la tira d'erreur ; elle s'évanouit. Le lendemain, Mme de Motteville la vint complimenter de la part de la reine régente. Le malheur donnait le droit à la reine d'Angleterre de faire des leçons : elle chargea Mme de Motteville de dire à Anne d'Autriche « que le roi son seigneur (Charles Ier) ne s'était perdu que

  1. Vie de Henriette-Marie. (N.d.A.)