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sous vos yeux en France... Après avoir donc supporté si longtemps avec patience les chagrins que je reçois de ce qui devait faire ma plus grande consolation, je ne saurais plus souffrir autour de ma femme ceux qui sont la cause de sa mauvaise humeur, et qui l'animent contre moi ; je devrais les éloigner, quand ce ne serait que pour une seule chose, pour l'avoir engagée à aller en dévotion à Tiburn [1] ».

On ne peut donc attribuer la mésintelligence de Charles et d'Henriette qu'à une sorte d'incompatibilité d'humeur entre les deux époux. Si le temps et l'adversité l'affaiblirent, la vie de Charles ne fut pas assez longue pour la faire entièrement disparaître. Charles avait quelque chose de doux, de facile et d'affectueux dans le caractère ; sa femme était plus impérieuse, et l'on s'apercevait qu'elle avait un certain mépris pour la faiblesse de Charles. La reine était charmante : quoiqu'elle fût née d'un sang et dans une cour qui n'abondait pas en austères vertus, les républicains mêmes n'osèrent calomnier ses moeurs. Nous avons des portraits d'elle laissés par lord Kensington, par Ellis et Howel. Un des historiens français de sa vie nous la dépeint ainsi au moment de son mariage : « Elle n'avait pas encore seize ans. Sa taille était médiocre, mais bien proportionnée. Elle avait le teint parfaitement beau, le visage long, les yeux grands, noirs, doux, vifs et brillants, les cheveux noirs, les dents belles, la bouche, le nez et le front grands, mais bien faits, l'air fort spirituel, une extrême délicatesse

  1. Ce document, trouvé avec les lettres de la reine et du roi dans la cassette de Charles, perdue sur le champ de bataille de Naseby, est évidemment falsifié. On ne conçoit pas d'abord comment un document semblable a été conservé par Charles depuis l'année 1626 jusqu'à l'année 1645 parmi des papiers récents et une correspondance toute relative à la guerre civile. Ensuite ces paroles, je passerai sous silence l'affront qu'elle me fit avant que j'allasse à cette dernière et malheureuse assemblée du parlement, si elles signifient quelque chose, présentent un grossier anachronisme. Henriette-Marie débarqua à Douvres le 11 juin 1625 ; le roi Charles, nouvellement parvenu au trône, ouvrit son premier parlement le 18 du même mois, et en prononça la dissolution le 12 août. Il convoqua un second parlement en 1626 ; et ce parlement orageux, à cause de l'accusation de Buckingham, fut cassé au mois de juin de cette même année. Charles n'alla point à cette dernière et malheureuse assemblée du parlement . Il est évident que les faussaires, ne faisant point attention aux dates, ont voulu parler du long parlement, où Charles se transporta en effet le 4 janvier 1642, pour faire arrêter six membres de la chambre des communes, lesquels avaient été avertis des projets du roi par la trahison de la comtesse de Carlisle, jadis maîtresse de Strafford, ensuite attachée à Pym et favorite de la reine. Enfin, le roi parle dans ce document des dévotions de la reine à Tiburn : l'esprit de fanatisme accusait Henriette-Marie d'être allée prier devant la potence à laquelle avaient été pendus quelques prêtres catholiques. Or il est démontré par les pièces diplomatiques anglaises que cette imputation était dénuée de tout fondement. Charles ne pouvait pas écrire ce que son gouvernement même ne croyait pas. (N.d.A.)