Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 1.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duire mes erreurs, et de me montrer au public avec toutes mes infirmités.

Je sais parfaitement que cette préface et les notes critiques de l’Essai ne changeront point l’opinion de la génération présente. Ceux qui aiment l’Essai tel qu’il est seront peut-être contrariés par les notes ; ceux qui trouvent l’ouvrage mauvais ne seront point désarmés. Ces derniers regarderont mes aveux comme non avenus, et reproduiront leurs accusations avec une bonne foi digne de leur charité.

Au fond, ces prétendus chrétiens ne disent pas ce qui leur déplaît. Ne croyez pas que ce soit le philosophisme de l’Essai qui les blesse : ce qu’ils ne peuvent me pardonner, c’est l’amour de la liberté qui respire dans cet ouvrage. Sous ce rapport les notes ne feront qu’aggraver mes torts. Loin d’être rentré dans le giron de l’absolutisme, je me suis endurci dans ma faute constitutionnelle. Qu’importe alors que je me sois amendé comme chrétien ? Soyez athée, mais prêchez l’arbitraire, la police, la censure, la sage indépendance de l’antichambre, les charmes de la domesticité, l’humiliation de la patrie, le goût du petit, l’admiration du médiocre, tous vos péchés vous seront remis.

Aussi en écrivant les notes je n’ai point espéré réformer le sentiment de mes contemporains ; mais la postérité viendra, et si j’existe pour elle, elle prononcera avec impartialité sur le livre et sur le commentaire. J’ose espérer qu’elle jugera l’Essai comme ma tête grise l’a jugé ; car en avançant dans la vie on prend naturellement de l’équité de cet avenir dont on approche.

Cependant des personnes prétendent qu’il ne seroit pas impossible que l’Essai fût reçu du public avec une faveur à laquelle je ne devois pas m’attendre : j’avoue que les raisons présumées de cette faveur, si elle a lieu, m’attristent autant qu’elles m’effrayent. Il me paroît certain à moi-même que si je publiois le Génie du Christianisme aujourd’hui pour la première fois il n’obtiendroit pas le succès populaire qu’il obtint au commencement de ce siècle ; il est certain encore que si j’avois donné en 1801 l’Essai historique au lieu du Génie du Christianisme, il eût été reçu avec un murmure d’improbation générale. Comment se fait-il maintenant que ce même Essai soit plus près des idées du jour sous la légitimité qu’il ne l’eût été sous l’usurpation ? Et comment arrive-t-il que le Génie du Christianisme est moins dans l’esprit de ce moment qu’il ne l’étoit à l’époque où je l’ai fait paroître ?

Quelles causes menaçantes ont pu produire dans l’opinion un effet si contraire à l’ordre naturel des temps et des événements ? Par quelle fatalité l’Essai seroit-il devenu le livre du présent, et le Génie du Christianisme le livre