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des idées nouvelles ont levé partout ; ce seroit en vain qu’on les voudroit détruire : on pouvoit cultiver la plante naissante, la dégager de son venin, lui faire porter un fruit salutaire ; il n’est donné à personne de l’arracher.

Une déplorable illusion est de supposer nos temps épuisés, parce qu’il ne semble plus possible qu’ils produisent encore, après avoir enfanté tant de choses. La foiblesse s’endort dans cette illusion ; la folie croit qu’elle peut surprendre le genre humain dans un moment de lassitude et le contraindre à rétrograder. Voyez pourtant ce qui arrive.

Quand on a vu la révolution françoise, dites-vous, que peut-il survenir qui soit digne d’occuper les yeux ? La plus vieille monarchie du monde renversée, l’Europe tour à tour conquise et conquérante, des crimes inouïs, des malheurs affreux recouverts d’une gloire sans exemple : qu’y a-t-il après de pareils événements ? Ce qu’il y a ? Portez vos regards au delà des mers. L’Amérique entière sort républicaine de cette révolution que vous prétendiez finie, et remplace un étonnant spectacle par un spectacle plus étonnant encore.

Et l’on croiroit que le monde a pu changer ainsi, sans que rien ait changé dans les idées des hommes ! on croiroit que les trente dernières années peuvent être regardées comme non avenues, que la société peut être rétablie telle qu’elle étoit autrefois ? Des souvenirs non partagés, de vains regrets, une génération expirante que le passé appelle, que le présent dévore ne parviendront point à faire renaître ce qui est sans vie. Il y a des opinions qui périssent comme il y a des races qui s’éteignent, et les unes et les autres restent tout au plus un objet de curiosité et de recherche dans les champs de la mort. Que loin d’être arrivée au but, la société marche à des destinées nouvelles ; c’est ce qui me paroît incontestable. Mais laissons cet avenir plus ou moins éloigné à ses jeunes héritiers : le mien est trop rapproché de moi pour étendre mes regards au delà de l’horizon de ma tombe.

France, mon cher pays et mon premier amour ! un de vos fils, au bout de sa carrière, rassemble sous vos yeux les titres qu’il peut avoir à votre bienveillance maternelle. S’il ne peut plus rien pour vous, vous pouvez tout pour lui, en déclarant que son attachement à votre religion, à votre roi, à vos libertés vous fut agréable. Illustre et belle patrie, je n’aurois désiré un peu de gloire que pour augmenter la tienne.