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PRÉFACE GÉNÉRALE

(ÉDITION DE 1826)


Si j’avois été le maître de la fortune, je n’aurois jamais publié le recueil de mes ouvrages. L’avenir (supposé que l’avenir entende parler de moi) eût fait ce qu’il auroit voulu. Plus d’un quart de siècle passé sur mes premiers écrits sans les avoir étouffés ne m’a pas fait présumer une immortalité que j’ambitionne peut-être moins qu’on ne le pense. C’est donc contre mon penchant naturel, et aux dépens de ce repos, dernier besoin de l’homme, que je donne aujourd’hui l’édition de mes Œuvres. Peu importe au public les motifs de ma détermination, il suffit qu’il sache (ce qui est la vérité) que ces motifs sont honorables.

J’ai entrepris les Mémoires de ma vie : cette vie a été fort agitée. J’ai traversé plusieurs fois les mers ; j’ai vécu dans la hutte des sauvages et dans le palais des rois, dans les camps et dans les cités. Voyageur aux champs de la Grèce, pèlerin à Jérusalem, je me suis assis sur toutes sortes de ruines. J’ai vu passer le royaume de Louis XVI et l’empire de Buonaparte ; j’ai partagé l’exil des Bourbons, et j’ai annoncé leur retour. Deux poids qui semblent attachés à ma fortune la font successivement monter et descendre dans une proportion égale : on me prend, on me laisse ; on me reprend dépouillé un jour, le lendemain on me jette un manteau, pour m’en dépouiller encore Accoutumé à ces bourrasques, dans quelque port que j’arrive, je me regarde toujours comme un navigateur qui va bientôt remonter sur son vaisseau, et je ne fais à terre aucun établissement solide. Deux heures m’ont suffi pour quitter le ministère et pour remettre les clefs de l’hôtellerie à celui qui devoit l’occuper.

Qu’il faille en gémir ou s’en féliciter, mes écrits ont teint de leur couleur grand nombre des écrits de mon temps. Mon nom depuis vingt-cinq années se trouve mêlé aux mouvements de l’ordre social : il s’attache au règne de Buonaparte, au rétablissement des autels, à celui de la monarchie légitime, à la fondation de la monarchie constitutionnelle. Les uns repoussent ma personne, mais prêchent mes doctrines et s’emparent de ma politique en la