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le nom de Duccio fut en horreur à toute la contrée et sa tête mise à prix par la Seigneurie de Florence.

La bande, âprement pourchassée, se dispersa. Il ne restait plus à Duccio qu’un seul compagnon, appelé Tibère, et tous deux vécurent comme des loups, brouillant leurs traces et changeant de gîte pour dépister les chasseurs. La faim, le froid, l’incertitude perpétuelle de vivre et de mourir brisèrent bientôt les forces et la volonté de Tibère, tandis que Duccio, exercé aux privations dès sa jeunesse par la discipline monastique, ne fléchissait pas. Un jour ils faillirent tomber sur un convoi, qui allait du Casentin dans le Mugello, avec une escorte bien armée. Des soldats qui les avaient vus les poursuivirent. Tibère et Duccio, s’enfuyant, s’égarèrent en un lieu inconnu. C’était une montagne toute noire de sapins, toute ruisselante d’eaux vives, creusée de froides et sombres vallées. Les deux hommes, recrus de fatigue, se couchèrent sur une grande pierre plate, au bord d’un torrent, et partagèrent leur dernier morceau de pain ; puis ils convinrent de dormir et de veiller l’un après l’autre, et Duccio, se confiant à la bonne garde de Tibère, se reposa, lui premier. Mais le démon induisit Tibère au crime de Judas. Il lui représenta le destin qui l’attendait, cette vie de bête et non plus d’homme, traqué, forcé, affamé, et pour qui ? pour un chef qui n’était pas de son sang, pour un criminel dont la mort réjouirait toute la Toscane et vaudrait à l’exécuteur la clémence des Florentins. Bien persuasif est le démon, quand il parle dans la solitude ! Tibère ne discuta pas longtemps avec le conseiller malin dont la voix lui semblait être sa propre pensée et le vœu propre de son cœur. Fardant sa méchanceté d’une couleur de justice, il résolut de tuer Duccio et de porter sa tête à Florence. C’est pourquoi il tira son poignard… mais il ne put regarder en face son maître qui, sale, échevelé, la barbe longue, les joues creuses, conservait, dans le sommeil, un air d’homme noble et de guerrier. Tibère, se déplaçant alors avec précaution sur la pierre plate, arriva derrière Duccio et le frappa traîtreusement. La lame aiguë déchira l’épaule et soudain, au lieu de transpercer le poumon, dévia sur un os et se brisa. Duccio, réveillé par le choc, ne sentit même pas la douleur. Il saisit à la gorge le misérable Tibère et le précipita dans le lit du torrent, où ce maudit trouva une prompte mort, pour le plaisir et le profit du diable, car, n’ayant pas eu le temps de se repentir, il fut rompu, noyé et damné.


VII

Le soleil était bas et les troncs des sapins brûlaient d’un feu rouge, à travers les branches sombres qui s’abaissaient comme un toit. Duccio, affaibli par sa blessure, brisa un rameau dont il se fit un bâton et, marchant avec peine, gravit la pente de la montagne. Il voulait atteindre le sommet et s’y coucher, face aux étoiles, pour mourir. Longtemps, il s’acharna, des mains et des pieds, sur la roche et la broussaille, et il désespérait d’avancer quand la lune naissante lui montra un escalier taillé à pic, comme en font les coupeurs de bois. La hêtraie aux larges dômes remplaçait la sapinière. Duccio se souvint de la forêt de la Verne et des