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Il s’élançait vers elle, les mains tendues, mais il ne touchait qu’un cadavre en putréfaction.

Ce songe, à longs intervalles, se reproduisait, avec des circonstances identiques, et Duccio n’en retenait que l’appel amoureux :

« Je t’attends. Hâte-toi ! »

Et il se hâtait, — courant de ville en ville, et cherchant la courtisane aux lieux que hantent les courtisanes. Jamais il ne put la découvrir et toujours davantage il se pervertit. Une nuit, à Ancône, une femme ivre lui raconta qu’elle avait bien connu l’Orsette, laquelle, fuyant son assassin, s’était embarquée dans ce même port, sur un vaisseau qui allait à Constantinople. Elle avait pour amant un Grec très riche qui la couvrait d’or et de vair précieux. Reviendrait-elle jamais en Italie ? Peut-être, à cette heure, était-elle captive des Barbaresques et sultane chez les infidèles… La femme, en achevant son récit, devina la fureur de Duccio et se mit à rire. Dans sa rage, il la prit aux cheveux et l’assomma de coups.

L’Orsette était perdue pour lui. Il le savait. Désormais, il abandonna la vaine quête, mais non point ses habitudes de débauche, et il continua de fréquenter les mauvais lieux. Cette existence dissolue ne l’empêchait pas d’être un beau seigneur selon le goût du monde, courtois dans les chambres des dames, soldat gaillard et fidèle ami. Ce fut par amitié pour Buoncontre de Montefeltre qu’il se jeta dans le parti gibelin. L’évêque d’Arezzo, Guillaume Ubertini, qui avait l’âme d’un guerrier plus que d’un prêtre, ne voulut voir en Duccio que le guerrier. Ils combattirent flanc contre flanc, à Campaldino ; et quand la fortune tourna du côté des Florentins, et que Guido Novello, trahissant ses alliés, déserta le champ de bataille et se retira dans la citadelle de Poppi, Duccio demeura ferme parmi les Gibelins en déroute. Trois fois, il sauva le vieil évêque saignant par dix blessures. Blessé lui-même, l’armure faussée, le casque fendu, l’épée brisée, il tomba, et sur lui les cadavres de ses compagnons s’en tassèrent… Dans la nuit, il reprit ses sens, sous la flagellation de la pluie. Un ciel noir, déchiré d’éclairs, pesait sur le Casentin. Des torrents d’eau sanglante se précipitaient vers l’Arno, et la plainte des agonies éparses se mêlait à la tempête. Les soldats guelfes erraient çà et là, dépouillant les morts. Duccio, à la faveur de l’orage et des ténèbres, put s’éloigner en rampant. Il rallia quelques fu3-ards, leur rendit courage, et la petite troupe, emportant des armes ramassées dans la boue, gagna les contre forts des monts.


VI

Maintenant, les Guelfes dominaient le Casentin, et sur les ruines des châteaux démantelés rougissait le lys de Florence. Duccio, réfugié dans le Pratomagne, ne voulut pas céder aux vainqueurs, car il avait juré que le sang florentin paierait la mort de l’évêque Ubertini et de Buoncontre. Ses soldats, amoureux de l’aventure, le nommèrent leur capitaine pour faire la guerre de partisans. Duccio aima cette vie dangereuse. Il tua, pilla, viola, incendia sans remords, sur les terres qui dépendaient de la République ; mais, avec le temps, la guerre devint brigandage, et le capitaine un criminel qui ne distinguait plus ni amis ni ennemis ; si bien que