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sion de sa face vermeille. Ainsi nos mauvaises pensées et nos vains désirs, dès que le soleil de l’amour divin touche nos âmes obscures… »

Et il disait encore :

« Ô mes petits frères, que vous avez peine à marcher ! Les ronciers accrochent nos vêtements et les chardons acérés déchirent cruellement nos pieds nus. Mais considérez que ces ronciers fleuriront demain en belles corolles blanches, et regardez la couleur de ces chardons bleus comme le ciel ou violets comme la campanule des bois. N’est-ce pas l’emblème de la pénitence religieuse, tant de rudesse et tant de douceur mêlées ? Béni soit Dieu qui fait naître la rose de l’épine et qui peint le chardon acerbe aux couleurs mêmes du Paradis ! »

Ainsi parlait le bon Père, et les jeunes novices, émerveillés, louaient le Seigneur dans ses œuvres.

Ils étaient encore bien loin du couvent et traversaient un bois de pins, lorsque Duccio, qui marchait en avant des autres, aperçut une forme couchée à terre, comme d’une personne roulée en un manteau de velours noir, et dormant, le visage caché. En approchant, il vit du sang sur le manteau et du sang sur la mousse, ce qui lui fit jeter un cri :

« Père Bénédict ! Un homme gît assassiné… »

Le vieux moine, ému de compassion, répliqua :

« Il faut le secourir, frère Duccio ! »

Et il pressait le pas, mais, sans l’attendre, Duccio avait soulevé le manteau qui enveloppait l’inconnu : « Qu’est-ce là ? » pensa-t-il, en voyant une masse de cheveux blonds et une figure aux yeux clos, pâle, immobile, toute pareille à ce que serait la figure d’un ange si les anges pouvaient mourir. Il écarta les tresses soyeuses et découvrit l’épaule nue d’une femme qui portait une blessure au sein. Le sang coulait en filets pourpres sur la chair blanche, sur la robe brodée d’or, sur les tresses défaites que retenaient mal des nœuds de perles. La femme toute jeune, et qui semblait de haut rang, était mourante, sinon morte et insensible.

À cette vue, Duccio resta sans voix, ne sachant si c’était crainte ou pitié qui lui coupait l’haleine. Le Père Bénédict fut bien marri de trouver là une femme ; et, comme une poule sa couvée, il voulut protéger ses novices contre les entreprises de Satan. Il songeait à ces démons femelles qui obsédaient saint Hilarion et saint Antoine, dans leurs oratoires du désert et jusqu’en leurs lits de roseaux. Donc, faisant le signe de la croix, il murmura la formule de l’exorcisme, mais la femme évanouie ne s’en alla point en fumée infecte et le Père Bénédict connut qu’elle était de chair baptisée, en grand péril de mort et de damnation. La charité l’obligeait à secourir cette chrétienne, et, d’autre part, il se rappelait la prudence de saint François qui ne se permettait pas de lever les yeux sur aucune femme, fût-ce la plus vertueuse de toutes. Dans son incertitude, le bon Père Bénédict résolut d’accomplir, d’abord, le devoir étroit de la charité, et de transporter l’inconnue, de la manière la plus décente, jusqu’au village voisin, chez d’honnêtes paysans qui prendraient soin d’elle. Au nom de la sainte obéissance, il dit aux jeunes Frères de casser des branches de pin et de composer une civière avec quatre bâtons. Sur la civière improvisée, lui-même, de ses vieilles mains, disposa le manteau de velours, et sur ce manteau coucha la femme agonisante. Puis, Duccio et trois autres novices prirent les bâtons par le bout.