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XCIX.


Desires-tu scavoir à quoy je parangonne
Le fuseau de tes ans ? Au saon blanchissant
Soufflé par un tuyau de paille jaunissant,
Dont un fol enfancon ses compagnons estonne :

En son lustre plus beau sa gloire l’abandonne,
Au moindre choc de lair, fragile, se froissant :
Ainsi devers le soir va la fleur ternissant,
Qui, sur le point du jour vermeillement fleuronne.

L’ombre est tantost icy, et puis soudainement
Elle s’evanouit, ainsi legerement
S’enfuit la vie humaine inconstante, & volage :

Aveugle, cependant, sur tes jours passagers
Tu fondes ton espoir, qui passent plus legers
Que ne fait le saon, ny la fleur, ny l’ombrage.


C.


Toy qui crains de la mort la violence dure
Scais tu pas que JESUS en sacrifice offert
De l'implacable mort le premier à souffert
En l'arbre de la crois, la fatale blessure ?

La mort à de la mort emoussé la pointure,
Et du ciel resserré le passage r'ouvert,
Si bien que par la mort l'homme autre fois desert,
Recouvre par la mort sa premiere droiture.

La mort n'est pas un mal, mais l'apprehension
Fait estimer la mort, comme une passion
De toutes passions, la plus intolérable

O salutaire mort, le monde ne seroit
Qu'un dolent Ixion, qui tousjours tourneroit
Si tu n'estois la fin de son mal incurable.