Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LXIII.


Si tu viens à la mort de frayeur transporté
Avecque une pensee incertaine, & mouvante,
Une ame sans arrest douteuse, & chancellante
Tu treuveras l'acces plein de difficulté :

Mais si resolument en toy-mesme arresté
La peur ne peut changer ta volonté constante,
Tu treuveras l'issue agreable, & plaisante,
Allant joyeus au lieu de ta nativité.

Selon que nostre ceur est constant, & mobile
L'entree est à la mort ou joyeuse, ou facile
Il faut pour bien mourir, mourir resolument :

Pour mourir resolus, il nous convient apprendre
De passer ceste vie en crainte de mesprendre,
Le peché trouble l'ame, & pert le jugement.


LXIIII.


Quel plaisir avons nous qui ne nous tienne en peine
Comme un venim meslé à la contrepoison,
Plaisir accomparable à la demangaison
Qui longuement apres nous pointelle, & nous geine

Il n'est telle douceur qui de fiel ne soit pleine,
Ny boire si plaisant qui ne traine à foison
Un desboire fascheus, tant l'humaine raison
Contre l'opinion souventefois est vaine.

Ces vains plaisirs acquis par mille & mille hasars
Passent en un moment laissant à leurs depars
Un long ressentiment de leur perte ennuieuse,

Encore craignons nous d'eslougner par la mort
De telles voluptez la douceur envieuse,
Dont la perte & l'acquet l'ame offence, & remort.