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LIX.


Cest Ocean battu de tempeste et d’orage
Me venant à dedain, & le desvoyement
De mon foible estomach prompt au vomissement
Me faisoit desja perdre, & couleur, & courage,

Quant pour me deslivrer des perils du naufrage,
D’un plus petit batteau je passay vistement
Dans un vaisseau plus grand, tenant asseurement
Que plus seur, et gaillard, je viendrois au rivage :

Mais las ce sont tousjours les mesmes cours des vens,
Tousjours les mesmes flos, qui se vont elevans,
Tousjours la mesme mer qui me trouble, et moleste.

O mort si tu ne prens ma requeste à dedain,
Tire moy des hasars de tant d’ecueil mondain,
Repoussant mon esquif dedans le port celeste.


LX.


Malade je couchois sur la chambre devant
Ou le bruit du marché, empeschant ma paupiere
De cligner au sommeil l'une & l'autre lumiere,
Me fit tirer soudain au logis plus avant:

Mais cest humeur fiebvreus mes espris emouvant
Bien qu'eslougné je sois & du bruit de l'orniere,
Et du cacquet des gens, de la flame meurdriere
Me consume, & recuit non moins qu'au-paravant :

En vain je veus passer de l’une à l’autre porte,
Tousjours mesme par tout moymesme je me porte,
Et changeant d’autre lieu, autre je ne suis pas.

Je cherche des desers la vaste solitude
Pour fuir du palais la vaste solicitude,
Mais la peine, & l’ennuy nous suit jusqu’au trespas.