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XLVII.


Je veus pour cinquante ans pourvoir à mon mesnage
Regler ma metairie, & dresser ma maison :
O que l'homme à le sens corrompu de poison,
Qui temerairement dispose de son àge :

Mal-habile est celuy qui se promet l'usage
Du douteus lendemain, nostre aveugle raison
N'entend, ny ne comprend la future saison,
DIEU seul de l'avenir peut rendre tesmougnage.

T'asseurerois tu bien sur le jour du demain
Quand ce que tu retiens de plus seur en ta main
T'eschappe meinte fois de l'ongle soucieuse ?

Croy moy la mort nous fuit à toute heure, à tout pas
Nous avancons le pié au quartier du trespas,
Mesmes aus plus heureus toute chose est douteuse.


XLVIII.


Puisqu’il te faut mourir, oste toute contrainte
De ton affection, car la necessité
N'est bonne que pour ceus, dont le veuil indomté
Repugne aus mandemens de la volonté Sainte :

Celui qui d'un bon ceur sans effort, & sans feinte
Obeit promtement, à le pire evité
Du service contraint, la seule volonté
Rend de la mort facile, ou fascheuse l'attainte.

Ny les ans, ny les jours, ne font aucunement
Que nous ayons vescu assez suffisamment,
Le vouloir accourcit, ou prolonge nostre àge :

Tel vit beaucoup, qui n'a la jeunesse vaincu
Et meurt tost, qui vit tard : le bien d'avoir vescu
En l'espace n'est mis, mais consiste en l'usage.