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XXXV.


Veus tu chasser celuy qui ne craint point la mort
De son pays natal ? ailleurs il a sa place
Que l'on ne peut forcer, & tient la terre basse
Comme un logis ouvert, ou chacun loge, & dort

Veus-tu l'emprisonner ? un plus estroit ressort
Tu ne luy peut donner, que la debile masse
De ce cors charougneus plein d'ordure, & de crasse,
Ou pesle mesle bruit la noise & le discort :

Le veus-tu massacrer ? vainement tu t'essayes
De le faire mourir, les plus mortelles playes
Le font estre immortel, joüissant du vray bien

Or aille maintenant quiconque nous menace
De couper de nos jours l'imparfaitte filace
Puisque sur l'homme fort la crainte ne peut rien.


XXXVI.


Tu desires viellir, mais au jour langoureus
Que tu auras attaint la viellesse impotente,
Encore du futur la saison differente
De vivre plus long tems te rendra desireus :

Tu n'auras du passé qu'un regret douloureus,
De l'instable avenir qu'une ennuieuse attente,
Et n'aura le present chose qui te contente,
Autant viel & grison, comme enfant mal heureus :

Tu fuis de mois en mois ton creancier à ferme,
Et si ne seras prest non plus au dernier terme
De payer qu'au premier, ains comme au-paravant

Tu requerras delay, mal-heureus Hypocrite
Quant il convient payer, il n'est que d'estre quitte
Celuy ne meurt trost tost qui meurt en bien vivant.