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XIX.


L’homme en lieu plus heureus ne scauroit se ranger
Qu'au penser curieus de la fresle nature,
Se reputant mortel, sujet à pourriture
Qui loge par emprunt en ce cors passager :

Duquel il sort ainsi comme le voyager
Debusquant du logis, quant de la terre obscure
L'Aube chasse la nuit, qui tout le Ciel espure
Va redoublant le pas, & marche plus léger,

Tel homme connoissant le lieu de sa naissance,
Scait bien en quelle part il fera demeurance
Lors qu'il luy conviendra dans la fosse pourrir :

Et ny à tel malheur, ny peur si violente
Qui le puisse estonner, & qu'est ce qu'espouvante
Celuy qui vit toujours en espoir de mourir ?


XX.


Mortel veus tu savoir des que tes yeus ouvers
Ont veu du beau soleil la lumiere paroistre,
En quel fenuebre lieu le destin t'a fait naistre,
Mal'heureus Citoyen de ce rond univers ?

Entre les tristes pleurs, & les soucis divers,
L'enfance, la viellesse, & l'àge moins adextre,
Les chagrins, les dépis, tu viens prendre ton estre
Le jouët des mocqueurs, & l'esbat des pervers.

Tu ne peux alterer la nature des choses,
Et necessairement faut que tu te proposes
D'avoir tels compagnons : que fi de leurs courrous

Tu te peus garentir, ta descente natale
T'y avoit asservi ; la loy se nomme egale
Non que chacun l'observe, ains quelle est mise à tous.