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CXXXI.


Comme le voyager qui remarque en passant
Un arbre chevelu, inclinant sur la voye
Qui d'un ombrage frais au passant donne joye,
Eslevant de son chef le sommet verdissant

S'il le voit au retour sans feüille languissant,
Desnué de rameaus, l'effouage & la proye
Du bucheron panthois, en soy-mesme il s'effroye,
Plaignant l'infirmité du monde perissant :

Voyager sur la terre, ainsi l'experience
Nous fait voir ces hautains boursouflez d'arrogance
Perdre en moins d'un moment leur gloire et leur orgueil

Mais nos ceurs engourdis sont estrains d'un tel somme
Que l'homme né mortel ne pense pas estre homme
Jusqu'a tant que la mort le renverse au cercueil.


CXXXII.


Le cerf abandonné à la troupe abayante
Des chasseurs & des chiens, qui de crois & de vois
Le pousuit par les chams, le presse par les bois
Et de pres & de loing, l'estonne & l'espouvante ;

Mordu des chaus limiers quant la fuitte mouvante
Ne luy sert plus de rien hallenant & panthois
De depit il larmoye, & ne rend les abois
Qu'il ne tourne au Levant la teste languissante.

Chretiens mal-advisez courus de toutes pars
Du monde & de la chair, en eternels hasars
De souffrir de la mort les aiguillons funebres :

Au lieu de contempler ce bel astre riant
Qui pour vostre salut d'esclate d'Orient,
Vous vous esjouissez seulement aus tenebres.