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Ô infortuné homme ! tu qui as passé les dangereux voyages[1] et les ennuyeuses veilles, et tant d’autres qui ont porté sur leurs épaules la douleur de leur exil et travaillé en pauvreté avec la chose publique, devez-vous peu priser votre loyauté, quand pour la garder vous êtes déshérités de votre pays, et pour la servir et soutenir, vous êtes foulés, avilis et chétifs ? [2] Mainte-

    teux : Et combien que soit grand ton loz et ta gloire, ce ne te vaut rien seul. Car avec ce, faut-il du pain !

  1. Tu qui as passé les dangereux voyages. Il s’agit des voyages en Bohème auprès de l’empereur Sigismond (1424-?) et en Écosse auprès du roi Jacques (1428). L’exil daterait donc bien, pour le moins, de 1428, et la date de composition du livre de l’Espérance serait, comme l’admet M. D. Delaunay, l’année 1438.
  2. Il faudrait être bien peu au courant des habitudes de langage de Chartier, pour voir dans ces mots déshérités de votre pays, une allusion à la Normandie absente. Chartier n’exprima jamais d’attachement particulier pour son pays natal. Il fut français avant d’être normand, sans doute parce qu’il vint de très bonne heure à Paris et y fît ses études et son éducation. Le Pays, c’est la France. Ce mot Pays vient d’ailleurs très souvent sous la plume de Chartier toujours avec cette signification générale. Si, maintenant, on a soin pour fixer la juste portée de ces mots, déshérités de votre pays, de les laisser dans leur milieu, de ne pas les isoler pour en châtrer le sens