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Et ne faut penser que l’amitié ne soit utile et plaisante qu’en privé, et pour les particuliers ; car encore l’est-elle plus au public, c’est la vraye mere nourrice de la societé humaine, conservatrice des estats et polices. Et n’est suspecte ny ne desplaist qu’aux tyrans et aux monstres, non qu’ils ne l’adorent en leur cœur, mais pource qu’ils ne peuvent estre de l’ecot. L’amitié seule suffit à conserver ce monde ; et si elle estoit en vigueur par-tout, il ne seroit jà besoin de loy, qui n’a esté mise sus que subsidiairement et comme un second remede au deffaut de l’amitié, affin de faire et contraindre par son authorité ce qui debvroit estre librement et volontairement faict par amitié : mais la loy demeure beaucoup au dessoubs d’elle ; car l’amitié reigle le cœur, la langue, la main, la volonté et les effects. La loy ne peust pourvoir qu’au dehors. C’est pourquoy Aristote a dict que les bons legislateurs ont eu plus de soin de l’amitié que de la justice ; et pource que la loy et la justice souvent encore perd son credit, le